J’ai découvert la synagogue de Żółkiew (Jolkva, Jovkva) lors de mon premier séjour en Ukraine, en 1992. Elle était désaffectée mais presque intacte, repeinte d’une couleur rose, déjà décolorée, qui allait parfaitement avec le reste de la ville. Sans savoir à l’époque l’importance réelle qu’a eue cette ville dans l’histoire de la Pologne (le roi Jean Sobieski, celui qui a repoussé les Turcs à la bataille de Vienne en 1683, en fit sa résidence), j’ai compris immédiatement qu’il s’agissait d’un ancien chef d’œuvre architectural ; effectivement elle a été réalisée avec l’aide de l’architecte personnel du roi, Piotr Bobra (ou Beber, selon les orthographes), en 1692-1698, et les Juifs lui ont donné le nom de Sobieski schul. D’année en année, j’ai vu la dégradation de l’édifice, laissé à l’abandon au milieu de la ville, alors que tous les autres lieux de culte étaient progressivement rénovés. Lors de mon dernier passage à Żółkiew, en 2017, il ne restait plus que les murs : le toit, réparé pourtant quelques années auparavant, s’était écroulé.
Depuis 1992, je n’ai cessé de visiter et de fixer sur ma pellicule des lieux juifs, non seulement d’Ukraine mais aussi de Pologne, de Biélorussie, d’autres pays d’Europe centrale. J’utilise soit le Leica M6 pour les petits formats, soit, de préférence, un appareil 6×6, Exacta.
Je m’efforce ainsi de faire réapparaître un passé oublié, dont les traces ne peuvent être totalement effacées malgré l’indifférence que manifestent les habitants à leur égard. Ce sont comme des blocs erratiques qui s’élèvent au coeur d’une ville – souvent en plein centre, par exemple à Żółkiew, Brzeżany [Berejany], Stryj, Podhajce –, au milieu d’un terrain vague ou d’un parc, à Sokal ou Hussiatyn, et dont la plupart des gens ont oublié l’ancien usage. D’une certaine manière, ces photographies de lieux vides sont une représentation de l’absence, soixante-quinze ans après la Shoah.
Ces images ont été montrées en 2000 à Strasbourg (au « Sommet du yiddish »), en 2005 à Paris au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (« Les lieux de Bruno Schulz »), en 2017 à Lublin (« Sur les traces de Bruno Schulz ») ; la prochaine exposition aura lieu en juin 2018 à Drohobycz (Ukraine). Un fonds important, bien que partiel, de ces photographies, consultable en ligne, se trouve au Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris.
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