Les Balkans ont été perçus et décrits pendant des siècles comme une arrière-cour de l’Europe, aux mœurs brutales et barbares. Préjugés et mauvaise réputation restent aujourd’hui encore bien présents dans les esprits, et ce bien que l’histoire récente ait rapproché l’ensemble de la zone du périmètre communautaire européen.
À partir de 1991 et parallèlement à l’effondrement du bloc communiste, la dislocation de l’ancienne République fédérale socialiste de Yougoslavie, qui fonctionnait de façon autonome hors du bloc de l’Est, a fait émerger en une dizaine d’années sept États indépendants : la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord et le Kosovo. Sanglante naissance, au prix de conflits politiques, ethniques et religieux qui ont fait plus de 140 000 morts, dont une majorité de civils bosniaques.
Ces événements ont suscité une intense activité diplomatique que je couvris inlassablement en tant que photographe du ministère des Affaires étrangères français, devant les tables de négociation comme sur le terrain. Près de vingt-cinq ans plus tard, proche de la célébration des accords de Dayton, je décidais d’explorer à rebours du temps ces parages, y traquant l’imbrication d’un passé douloureux et d’un présent en devenir articulé autour de l’entrée dans l’Union européenne. La Croatie et la Slovénie sont aujourd’hui les seuls pays membres, les autres pays sont engagés dans un long processus en vue de leur intégration. ❚
1/ Je quitte la ville de Neum, seule ville du littoral bosnoherzégovinien sur l’Adriatique, en direction de Stolac. Je vois avec tristesse que le respect des langues, donc de l’autre, est bafoué. Où est passée la Bosnie multiculturelle ?
2/ Quelque part sur la route de Stolac, en pleine campagne, cette blessure du goudron, toujours ouverte trente ans plus tard : sinistre signature des criminels de guerre.
3/ À la sortie de Stolac, à 300 km de Srebrenica et de ses 8 000 morts… L’apostrophe en anglais en appelle au monde entier. Je me demande si ces treize cercueils, associés au nom de la ville où je me trouve, n’évoquent pas ceux de ses habitants qui ont été pris dans l’horreur du 11 juillet 1995…
4/ Un café à Mostar, sur l’ancienne ligne de front : je me dis que la parole a remplacé les tirs et le café les balles.
5/ Un message d’espoir sur un immeuble détruit de Mostar.
6 et 7/ Dans Sarajevo, des « roses rouges », éclats d’obus incrustés dans le sol et recouverts de résine couleur de sang, sont conservées. J’ai trouvé celle-ci au cœur du marché de la place Markale, deux fois ensanglanté en 1994 puis 1995. La vie y a depuis « repris ses droits ».
8/ À Sarajevo se côtoient partout les stigmates du martyre subi par la ville et les tentatives de renaissance sous le signe de la mondialisation. Le contraste m’a paru particulièrement saisissant à cet endroit précis, près du pont de Vrbanja.
9/ Arrêt dans le cimetière serbe de Donji Kotorak, non loin de l’aéroport de Sarajevo : gravés en pied sur les tombes, pin-up et soldats armés créent en moi un malaise profond. Des familles sont présentes, je sens que je ne suis pas le bienvenu.
10/ Dans le grand cimetière musulman de Kovači sont enterrés les plus de 10 000 civils et défenseurs de Sarajevo tués pendant le siège entre 1992 et 1995. Je pense à toutes ces listes de victimes de guerre de par le monde, sinistres énumérations où l’œil se perd dans des identités de pierre…
11/ Pour moi, cette vue depuis le petit belvédère de la ville de Konjic, avec son vieux pont ottoman et son minaret, représente la Bosnie intime.
12/ Dans ce petit mémorial de la ville de Konjic, je suis happé par les regards de ces 490 hommes de tous âges, morts pour défendre leur ville durant les 47 mois du siège.
13/ À quoi rêve cet enfant sur l’ancienne piste de bobsleigh des Jeux olympiques d’hiver de 1984 ? De ce mont Trebevic et pendant trois ans, les forces serbes bombardèrent Sarajevo.