L’État-major de la Sipo- SD – la Gestapo – avait établi, à Bruxelles, ses quartiers avenue Louise. D’abord aux 510 et 453, mitraillé par le pilote belge de la R.A.F., Jean de Sélys Longchamp, le 20 janvier 1943, et au 347 où l’État-major déménagea après cet acte de bravoure qui fit de nombreuses victimes parmi les SS, dont le Sturmbannführer Alfred Thomas, chef du SD.
La principale activité de la Gestapo consistait à planifier et à organiser la déportation des Juifs et l’arrestation des résistants. De nombreux témoins ont fait état de ce qu’ils vécurent dans ces immeubles. Certaines caves étaient destinées aux Juifs raflés, que l’on transférait au camp de rassemblement de Malines lorsqu’elles étaient pleines, d’autres aux Résistants, qui pouvaient y rester séquestrés plusieurs jours, voire plusieurs mois. Cependant, la plupart de ces derniers étaient amenés le matin de la prison de Saint-Gilles pour y subir des interrogatoires à l’un ou l’autre étage. À l’extérieur, un garde se tenait en permanence à l’abri dans une guérite. Dans le hall d’entrée, un membre du personnel vérifiait les rendez-vous et les identités. Un fichier des Juifs permettait de répertorier les arrestations. Une intense circulation traversait ces bâtiments. Des proches venaient s’informer du sort des leurs ; des agents et des secrétaires, lesdites « souris grises », traitaient leurs dossiers tandis que des traducteurs et collaborateurs assistaient les tortionnaires. Un canon antiaérien coiffait le 453.
En 1995, l’historien et cinéaste André Dartevelle (re)découvrit ces immeubles. Dans les quatre caves (sur vingt) qu’il put visiter au 347, les murs laissaient paraître de nombreuses inscriptions incisées dans la chaux (Dartevelle et Ponteville 1996). Il ne put documenter celles du 453. En 2009, considérant à notre tour les lieux, nous décidons d’attirer l’attention des Monuments et Sites. En effet, comment inventorier les graffitis des caves alors que les propriétaires, depuis la découverte de 1995, en refusent l’accès ? Une journée d’étude organisée par la Fondation Auschwitz, le 11 octobre 2011, permet de réunir les personnes intéressées par cette question (historiens, rescapés, personnalités politiques, journalistes et… un propriétaire). Quelques jours plus tôt, grâce à une intervention de la RTBF (Didier 2011), un autre propriétaire du 453 nous ouvre sa cave qui s’avère contenir de nombreuses inscriptions. La preuve est ainsi faite de la présence de graffitis également dans cet immeuble. Mais cela ne mobilise pas plus les propriétaires du 453 dont trois d’entre eux seulement rompent le silence.
Le 9 octobre 2013, Julie de Groote, députée au Parlement bruxellois, relance le dossier en s’adressant au nouveau Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale, Rudi Vervoort, qui déclare n’exclure aucune mesure pour parvenir à protéger les lieux. Des journalistes (Rosenbaum 2013, Laporte 2013) estiment qu’une expropriation des caves pourrait même être plausible. La RTBF décide, en janvier 2014 de réaliser un nouveau reportage sur le sujet (Klaric 2014; voir aussi Debont et Scheenaerts 2014, Dupont 2014, Hoonaert 2014). Si, au cours du tournage, les propriétaires du 347 restent cloîtrés, l’accueil est nettement plus enthousiaste au 453. Des interviews sont enregistrées dans les caves. Pour clore le tournage, l’équipe du journal télévisé se rend au Cabinet du Ministre-Président afin de l’interroger sur ses intentions. Il révèle alors qu’il compte déposer au Parlement, le lendemain, jeudi 9 janvier 2014, une proposition de classement des caves. Le vote ayant entériné la proposition, les mesures de protection ont immédiatement pris effet. Le moment de mettre au jour les traces de cette douloureuse semble enfin arrivé.
Bibliographie
André Dartevelle et Isabelle Ponteville, Avenue Louise, 347. Dans les caves de la Gestapo, Bruxelles, CEGES – éd. Buch, 1996.
Marc Debont et Nicolas Scheenaerts, « Les ‘caves de la Gestapo’ bientôt classées », diffusé le 9 janvier 2014 au JT de Télé Bruxelles.
Aurélie Didier, reportage sur les caves de la Gestapo enregistré le 18 octobre 2011, diffusé le 20 au Journal télévisé de la RTBF, puis transmis par la VRT et TV5-Monde.
Emmanuel Dupont, « Des caves bruxelloises utilisées par la Gestapo ont été classées », diffusé le 12 janvier 2014 au JT de RTL-TVI.
Frank Hoornaert, « Kelders Louizalaan beschermd: ‘Daar heb ik de naziwreedheden ondervonden’ », diffusé le 14 janvier 2014 au JT de TV-Brussel. Reportage disponible sur le site de TV-Brussel.
Marianne Klaric, reportage sur les caves de la Gestapo diffusé le 9 janvier 2014 au JT de la RTBF. Vidéo disponible sur le site de la RTBF (19’07).
Christian Laporte, « Caves de la Gestapo : c’est toujours le statu quo ! », La Libre Belgique, 22 octobre 2013.
Cédric Rosenbaum, « Avenue Louise: exproprier les propriétaires des caves de la Gestapo ? », L’Avenir.net, 16 octobre 2013.