Quel plaisir de faire taire le rabat-joie qui assure dans les dernières pages de Quand la terre était plate[1] de Jean-Claude Grumberg que « jamais personne ne lira ça jusqu’à la fin » ! (p. 151) L’ouvrage achevé, alors que le temps de la lecture a filé « comme un éclair au chocolat » (p. 119), on reconnaît que « l’auteur tragique le plus comique de sa génération »[2], a de nouveau relevé le défi exigé par feu son épouse : obtenir des lecteurs « des rires et des larmes mêlés ».[3] Après sa déclaration d’amour à cette dernière dans Jacqueline Jacqueline[4], il rend ici hommage à Suzanne, la mère qui lui a donné de vivre une enfance heureuse en dépit du fondement tragique dans lequel elle s’ancrait. S’il mobilise des souvenirs demeurés vifs pour évoquer son image, il part également en quête d’un pan plus enfoui de son passé, constitué d’histoires qu’elle « avait pliées et rangées dans un placard aux chiffons qu’elle n’ouvrait jamais » (p. 78). Il en ressort un texte vif et original, où le réalisme biographique alterne avec le merveilleux du conte lorsque l’imaginaire vient combler des béances, un propos aux tonalités contrastées comme les sentiments qu’il dévoile, entre nostalgie, amour, humour et colère, un récit dans lequel le dialogue cher au dramaturge tient une place essentielle. Si l’on reconnaît bien là Jean-Claude Grumberg et que cet ouvrage s’inscrit dans la continuité des précédents, Quand la terre était plate témoigne aussi que le recul apporté par les années écoulées a quelque peu modifié le regard rétrospectif qu’il porte sur les êtres et les événements du passé.
L’auteur ne cache pas ses « quatre-vingt-cinq ans » (p. 56), se comptant parmi les « vieux scribouilleurs » dont le lot est de « ressasser » puisque « [l]e malheur quand on devient vieux et qu’on raconte sa vie, c’est que c’est toujours la même vie qu’on raconte, à part qu’on est vieux et qu’on a oublié l’avoir racontée. » (p. 99). Pourtant, cette autocritique n’est pas tout à fait justifiée dans ce livre : si Jean-Claude Grumberg n’a eu de cesse de décliner dans ses écrits le traumatisme qui a marqué son enfance, il explore cette fois celle de sa mère, élargissant son horizon à une période encore jamais abordée dans son œuvre : en effet, l’auteur a beau se lamenter sur les maux que la vieillesse lui inflige, nous le voyons ici, chaussé de magiques « godillots » militaires conçus en 1915 (p. 54), « dévale[r] à fond la caisse » des marches d’escalier pour filer « vitesse grand V » (p. 56) « prendre la main de sa maman redevenue petite fille et […] marcher avec elle, main dans la main, sur le sentier de la première guerre mondiale »… (p. 60), la « der des ders » (p. 22) comme il prend un malin plaisir à rappeler qu’on la nommait alors naïvement.
Par ailleurs, le temps passant a paradoxalement rapproché l’homme vieillissant de ses parents[5]. « Au fil des ans je suis devenu de plus en plus juif, ou plutôt de plus en plus fils de déporté juif »[6] (p. 86), constate-t-il en ce sens, car « [l]es coups frappés dans les portes des pères résonnent très fort dans les oreilles de leurs vieux enfants »[7]. En vertu de ce sentiment de proximité accru, l’auteur abandonne le filtre qui établissait une distance, même dans ses œuvres les plus intimes[8] : dans L’Atelier, il racontait la vie de Suzanne à travers un personnage qui portait un autre prénom, Simone, et concernant Mon Père. Inventaire, plus proche formellement de l’autobiographie, il concède ici lui-même, dans un dialogue imaginaire avec un juge, qu’il n’avait pas respecté le pacte d’authenticité inhérent au genre : « ce livre est bourré de fausses informations. […] Bien qu’ayant les dates et les documents devant les yeux, je me suis forgé une histoire qui ne recouvrait aucune réalité. » (p. 40). Avec Quand la terre était plate, il se fait plus sincère et plus direct, comme si, l’âge venant, il ressentait une urgence à dire l’amour tout simplement : celui qu’il ne s’était encore jamais autorisé à ressentir pour son père, celui qu’il a éprouvé envers sa mère sans jamais oser le lui révéler. Il exprime également sa reconnaissance envers Maxime, le frère responsable qui, dès l’âge de huit ans, a endossé auprès de lui le rôle de père, ce qui l’a bien plus tard obligé à « visiter une ou deux fois par semaine un type dont le boulot [est] d’écouter ceux qui ne voudraient pas parler mais en [ont] grand besoin » (p. 107). Jean-Claude Grumberg a également éprouvé la nécessité de consulter un tel spécialiste. Il faut dire que la culpabilité (sentiment paradoxalement commun à la plupart des survivants de la Shoah) l’a, entre autres maux, torturé de façon croissante au fil des ans.
Tourmenté de n’avoir pas tiré son père « de l’anonymat des six millions », de ne pas lui avoir donné « forme humaine, pour le rendre vivant, ne serait-ce que sur le papier » (p. 39), il s’imagine comparaître devant le « tribunal de la trahison et de l’oubli » (p. 38) où il tient ce discours : « J’ai trahi mon père, j’ai collaboré avec ceux qui l’avaient éliminé, je l’ai éloigné de moi, je ne lui ai pas rendu honneur, je n’ai fait de lui ni mon père, ni même le mari de Suzanne. » (p. 40-41). Or, réparant ce manque, Jean-Claude Grumberg fait ici paraître Zacharie dans sa densité et sa complexité humaines : un joueur invétéré que Suzanne n’aurait pas épousé si elle avait eu connaissance de ce qui, à ses yeux, constituait une véritable tare (p. 41), « un papa qui aimait jouer aux cartes au café avec ses copains, apatrides d’origine roumaine », en réalité quelqu’un de bien, un « brave type qui avant son mariage aimait bouffer un bout de camembert avec une demi-baguette et un ou deux verres de vin rouge, un vrai Parigot du Danube, un rigolo aussi, qui aimait rire en lisant Les Pieds nickelés. » (p. 136-137), en somme, quelqu’un à qui Jean-Claude Grumberg n’est pas loin de ressembler…
Regrettant également de n’avoir jamais exprimé son amour pour sa « maman adorée » (p. 75), il livre ici ce qu’il « aurai[t] pu lui dire, qu’[il] aurai[t] dû lui dire » de son vivant : qu’il « l’aimai[t] plus que tout au point de [s]’en rendre malade » (p. 120). Elle est la véritable « héroïne de ce récit » (p. 9), celle à qui il rend hommage, la mère « esclave » (p. 75) de ses enfants, malgré ses « faibles forces », sa « détresse », sa « solitude », ses « angoisses » (p. 20-21), la femme admirable qui est parvenue à « triompher sur les deux guerres mondiales » (p. 138) en apprenant à lire à l’âge adulte. Grâce à cette mère aimante et aimée, l’auteur peut confesser : « Oui, j’étais heureux. J’en ai honte et j’en suis fier. » (p. 100). Ces deux sentiments contradictoires s’expliquent par le traumatisme qui, survenu dans l’enfance de l’écrivain, a contaminé sa vie d’adulte, l’amenant à nourrir un ressentiment grandissant avec le temps.
Ainsi sa mine n’a jamais été si affûtée ni ses coups si vivement portés que dans ce livre, même si c’est toujours par le détour de l’humour que sourd sa colère.
Peut-être suis-je rancuneux ? Peut-être ai-je un sale caractère ? Mais je dois préciser que vivre toute sa vie dans un pays où la police de ce pays, ton pays, mon pays, a arrêté ton père, mon père, un matin au saut du lit et l’a refilé en loucedé à un autre pays qui s’est fait une joie de le brûler, de le réduire en cendres… (p. 79)
Sa détestation de l’hypocrisie et de la victimisation des bourreaux s’exprime dans une ironie mordante, par exemple lorsqu’il rapporte au discours direct les précautions que Maurice Papon se targue d’avoir prises avant le départ des déportés entassés sur de la paille dans des wagons à bestiaux : « Nous vérifiions, mon équipe et moi-même, avant chaque départ de Bordeaux vers Drancy si la paille était fraîche. » (p. 133) ou quand il relaie la plainte des agents qui remplissaient ces trains en partance pour « une destination inconnue » :
particulièrement inconnue de ceux qui vous y expédiaient. « On ne savait pas ! On ne savait pas ! On ignorait la destination et le but du voyage. Sinon, pensez… il y avait des enfants, des bébés même, des malades, des infirmes, des vieux, des jeunes, et même des aveugles. C’était difficile de faire monter tout ce petit monde dans des wagons qu’étaient même pas faits pour ça ! C’était dur, très dur. Et puis, on n’avait rien à bouffer, rien à bouffer. On avait faim ! » (p. 46-47)
Sa haine de la sournoiserie et de la glorification des bourreaux se traduit par une vive question rhétorique :
La Libération advenue, la République victorieuse s’empressa d’honorer les gardiens de la paix parisiens, redevenus républicains il est vrai, par la remise d’une fourragère rouge d’honneur. Était-ce parce qu’ils savaient si bien casser le bas des portes et siffler les verres de rouge[9]? (p. 16)
Son antipathie pour les biais négationnistes prend la forme d’une admiration feinte envers la plume Sergent Major (et nous admirons, nous, l’habile métonymie) qui a tracé les lettres « mort à Drancy » sur l’acte de décès de son père déporté, réalisant « là un coup magistral qui lui valut sûrement une promotion – peut-être devint-elle maréchal ou général ? –, elle avait supprimé d’un seul coup de plume définitif, les rafles, les trains, le gaz et les fours, et même au passage les bas de porte fracassés » (p. 18-19). Son mépris pour les lois administratives, qui excluent nombre de bénéficiaires au motif de biais rigides, s’énonce à travers les sarcasmes visant cette même plume, toujours métonymique, qui les a légitimées :
Après examen de son dossier, on […] informa [Suzanne] qu’effectivement elle aurait bien eu droit, étant donné qu’elle-même était de nationalité française car née à Paris et ses enfants aussi – la plume Sergent Major se délecte et fait des miracles calligraphiques quand elle trace les mots « nationalité française » – donc elle aurait bien eu droit [à une pension] si le défunt, le décédé, Zacharie Grumberg avait été lui-même de nationalité française – re-pleins et déliés – […]. (p. 19-20)
Son abjection pour la distinction entre les prisonniers héroïques et les victimes résignées se lit dans sa démonstration de l’absurdité des catégorisations officielles :
Si Suzanne avait réussi à obtenir une pension de veuve de guerre, elle aurait eu droit à un tiers de la pension touchée par une veuve de déporté résistant. Pour que les choses soient plus claires, on avait différencié les « déportés résistants » et les autres, ceux qu’on ne voulait nommer ni « juifs » ni « raciaux » et qu’on avait nommés « déportés politiques ». Si bien que les aveugles, les paralytiques, les enfants de moins de deux ans étaient devenus des « déportés politiques »[10]. (p. 133)
Si son frère Maxime regrette encore de n’avoir pas « cass[é] la gueule » au gérant qui réclamait à Suzanne les mois de loyers des années de guerre au motif que son époux décédé ne fut pas prisonnier de guerre (ce qui l’en aurait selon la loi dispensée) « mais bel et bien déporté », l’auteur anéantit par l’art de la périphrase ce « rapace bâfreur de vieilles quittances » (p. 55).
Enfin, explorant la Première Guerre mondiale, Jean-Claude Grumberg y remarque un point commun avec la Seconde : des camps existaient déjà pour parquer les juifs indésirables et ceux-ci n’étaient déjà désirés nulle part. Ainsi l’on apprend que le père de Suzanne, Baruch, non naturalisé français, donc « dangereux espion en puissance » (p. 26), avait été emprisonné dans un camp français alors que sa femme et leurs enfants étaient renvoyés dans leur village d’origine, Brody, « à la frontière de la Galicie et de la Russie des tsars » (p. 50). Là sévissaient les pogroms, commis par « les cosaques et les troupes régulières sans solde qui avaient reçu l’ordre ou la permission de se payer leur solde sur les juifs – tout ce qu’ils pouvaient leur prendre, qu’ils le gardent, c’était leur salaire » (p. 76). Le discours indirect libre est particulièrement efficace pour faire résonner les cyniques injonctions officielles. De fait, comment ne pas en arriver à cette vérité générale : « C’est une loi de la nature, il faut s’y faire, partout où il y a des juifs, il y a des pogroms. » (p. 65) et comment ne pas éprouver une angoisse à propos de l’ex-siège de « L’antijuif de France » situé en face de l’immeuble où l’auteur a passé son enfance : « Merde, soudain j’ai la trouille, s’ils allaient rouvrir leur boutique ? » (p. 88) ? Comment ne pas perdre espoir quand, jetant un œil sur la presse du jour, on sait « déjà quels gros titres [on va] y trouver : guerre, guerre, guerre » (p. 52) ? Comment ne pas soumettre l’horreur du monde à Yahweh : « Tes humains ont disparu, les barbares règnent sur la terre et leurs crimes font loi. » (p. 147) ?
Pourtant, ce livre n’est pas si sombre, et nous retrouvons là tout à fait Jean-Claude Grumberg, pour qui écrire, même sur un sujet tragique, c’est avant tout faire du bien à ses lecteurs, « oser dire : “Soyez heureux, malgré tout. Vous avez le droit de l’être, pire, vous en avez le devoir[11].” » (p. 100). C’est ainsi qu’il considère sa mission d’écrivain, de même qu’il concevait son rôle de fils d’une veuve de déporté qu’il entendait « pleurer tout bas » la nuit : « J’avais mission de te faire rire, et toi tu me répondais comme tu pouvais pour me faire rire aussi. On se faisait rire, entre deux de tes minuscules sanglots. », explique-t-il à sa mère (p. 95-96). D’où le combat qu’il se livre à lui-même pour revenir à son objectif quand il sent qu’il emprunte un chemin trop triste : « – Ho ho ! T’arrêtes avec ça ! Tu veux quoi ? Faire pleurer le chaland ? » (p. 146).
Jean-Claude Grumberg, homme de théâtre avant tout, se tourne volontiers vers le dialogue, qui apporte une légèreté notable lorsque le propos risque de devenir trop pesant, surtout qu’il use alors d’autodérision : ainsi il s’apostrophe lui-même : « Écoute mon p’tit pote – oui je sais c’est un peu familier, mais voilà, quand je suis énervé je me parle comme ça » (p. 32), il se formule des injonctions : « Bon, calmons-nous, caaaalm, disent les Anglais. » (p. 44). Il s’adresse aussi régulièrement aux lecteurs, comme s’il avait accès à leur cheminement réflexif : « Vous ne me croyez toujours pas ? » (p. 11), « Peut-être pensez-vous que j’insiste trop sur l’arrestation de Zacharie ? » (p. 79) ; il les entraîne sur ses pas et les invite à partager son regard : « Constatez, je vous prie, quatre-vingt-cinq ans après, l’état de cette cour. » (p. 13). Parfois il leur témoigne son agacement : « Quoi encore ? » mais il prend tout de même le temps de leur répondre : « Vous voudriez savoir ce que j’ai fait des bottes ? C’est très simple. » (p. 79), à d’autres moments il les met à l’aise : « Pardon ? Une autre question ? Mais si, mais si, allez-y, j’adore dialoguer avec le lecteur, surtout quand c’est moi qui écris les questions et les réponses. » (p. 80), ou encore « Comment ? Encore une question ? Mais si, mais si, c’est très bien, pendant que je réponds, je n’écris pas, c’est toujours ça de gagné pour vous comme pour moi. Allez-y ! Oui ? Vous[12] ? ». Ces interpellations constituent un moyen efficace de relancer l’attention des lecteurs et l’absurdité du propos active un ressort comique propice à les détendre.
Parfois, des voix font irruption, dont certaines semblent déconcerter l’auteur lui-même :
– T’es qui ? Tu veux quoi ? C’est Maxime qui t’envoie ?
– Non, Suzanne.
– Maman !– Elle te fait dire de ne pas oublier de dire comment elle s’est trouvée à deux doigts de ne jamais vous revoir. (p. 154)
En accord avec cette injonction, l’écrivain s’empresse de nous faire vivre la scène, qui oppose un milicien et Suzanne, puis bientôt des passants attroupés autour d’eux :
– Stop ! Tes papiers !
– Pourquoi ? Mon étoile est bien cousue, je n’ai rien fait de mal.
[…]
– Qu’est-ce que vous lui voulez à la p’tite dame ? Elle a même pas l’accent youpin, elle est d’chez nous. (p. 154-156)
Le discours direct, régulièrement convoqué, rend le texte particulièrement savoureux et donne vie aux personnages, charriant avec lui sociolectes et accents divers, depuis le « Madame Groumebergue » (p. 55) du gérant d’immeuble au « Yoyo maïné colonel » du juif d’Europe de l’Est (p 26), au milieu desquels résonne la « voix pointue de Parigote tête de veau » (p. 14) de Suzanne. Celle-ci semble vraiment habiter ces pages quand jaillit l’une de ses expressions fétiches, que l’on entend prononcer à la manière d’Arletty (p. 22) : « Mystère et boule de gomme » (p. 29), « c’est ça, parle à mon cul ma tête est malade » (p. 123), « c’est ça, compte là-dessus et bois de l’eau. » (p. 125) car « Suzanne avait des paroles comme ça, des petites phrases en stock qu’elle avait cueillies dans son atelier, au 26, rue de Chabrol » (p. 105), des formules familières, populaires, percutantes, tournant la réalité en dérision, sortes de pied-de-nez au tragique.
Ainsi une riche polyphonie rythme ce livre, pour le plus grand plaisir du lecteur… et de son auteur, qui a d’ailleurs réalisé lors de sa rencontre avec des élèves toulousains combien converser est essentiel : « Nous les écoutions, ils nous écoutaient. Oui, ils avaient besoin d’échanger. Et j’ai découvert que nous en avions besoin nous aussi. » (p. 151).
Alors pour finir, je m’adresse à vous, Jean-Claude Grumberg, qui m’avez interpelée dans vos pages, moi, lectrice : soyez heureux toute honte bue, considérez votre bonheur comme une victoire contre la barbarie, et soyez-en fier, d’autant que ce bonheur, que vous avez bien mérité, vous n’avez de cesse de vouloir le partager. J’en suis témoin, moi qui ai assisté à vos rencontres avec les élèves de Toulouse, Montauban, Saint-Gaudens et Tarbes, qui vous ai entendu les exhorter à s’efforcer d’être joyeux pour rendre la joie contagieuse. Sachez qu’ils sont infiniment fiers de figurer dans les pages de votre livre, ces « garçons et [c]es filles pleins de projets, de talents, de désirs et d’humour, de connaissances aussi, et de courage » (p. 151) et ravis d’avoir pu vous apporter à leur façon une lueur d’espoir.
Je ne résiste pas à vous transmettre quelques-unes de leurs réactions spontanées quand ils se sont reconnus dans votre propos : « Il a parlé de nous ? », « Incroyable ! », « Trop beau ! », et quelques-unes de leurs réflexions : « Il a donc rajouté des pages in extremis à son livre pour nous ? », « C’est chouette d’avoir aussi son ressenti, de savoir ce qu’il pense de son côté. » Enfin, après avoir pris connaissance de ce passage : « La terre n’est pas prêt de disparaître […]. À Toulouse, à Tarbes, en passant par Montauban et Saint-Gaudens, les jeunes sont là pour s’en saisir et la maintenir en vie. », sachez que ces jeunes ont immédiatement affirmé leur détermination à relever le défi : « Oui, c’est clair, on va le réinventer, ce monde ! », « Ah ça oui, il peut nous faire confiance Monsieur Grumberg ! »…
Puisse, cher Jean-Claude, cet élan faire taire la petite voix qui vous susurre : « À ton âge, mon vieux, tu dois juste roupiller, pioncer et la fermer. » (p. 151) et laisser plutôt résonner celle de vos lecteurs, qui vous murmurent en cœur : « Merci pour tout ce que vous faites pour nous, continuez, nous vous aimons, Jean-Claude. »
[1] Toutes les citations tirées de cette œuvre renvoient à l’exemplaire paru aux Éditions du Seuil, Paris, 2025.
[2] Claude Roy, Programme de Zone libre, Théâtre de la Colline, 1990.
[3] Jean-Claude Grumberg, Jacqueline Jacqueline, Paris, Éditions du Seuil, 2021, p. 139.
[4] Ibid.
[5] Robert Bober, dans Il y a quand même dans la rue des gens qui passent, rend compte du décalage qui sépare irrémédiablement les générations, faisant éprouver aux enfants ce que leurs parents ont pu ressentir seulement lorsqu’ils sont en âge eux-mêmes de vivre des situations similaires et qu’ils ont atteint une maturité équivalente. Ainsi il fait par exemple ce constat d’avoir dû attendre « presque une vie entière pour prendre conscience » de ce que ses parents ont pu éprouver à le voir partir tous les dimanches à la tombée de la nuit pour la pension qui l’accueillait dans la semaine, in Il y a quand même dans la rue des gens qui passent, Paris, P.O.L, 2023, p. 74.
[6] « Plus le temps passe, plus nous nous rapprochons des événements passés, de ces événements précisément, le temps ne fait rien à l’affaire. », constatait déjà Jean-Claude Grumberg dans Mon père. Inventaire, Paris, Seuil, 2003, p. 90.
[7] Il reprend ici une formule employée dans Mon père. Inventaire « Les coups frappés dans les portes des pères résonnent de plus en plus fort dans les vieilles oreilles de leurs vieux enfants. », ibid.
[8] Sauf dans Jacqueline Jacqueline, op. cit., dont celui-ci se rapproche le plus, dans son objectif comme dans sa forme.
[9] Jean-Claude Grumberg fait ici allusion à l’arrestation de son père à son domicile le 2 mars 1943 par des policiers français qui avaient défoncé la porte de leur appartement et accepté de boire un verre de vin pendant que le prisonnier préparait son bagage. Il a raconté cet épisode dans L’Atelier, Paris, Flammarion, 2008, scène 3, p. 61-62, et dans Mon père. Inventaire, op. cit., p. 90.
[10] Jean-Claude Grumberg avait déjà dénoncé ce mépris institutionnel envers les déportés qui « n’étaient pas morts pour la France » : « Il y eut même, au procès Papon, un témoin de « moralité », ancien ministre, ancien collègue donc de ce Papon, qui déclara qu’il ferait toujours une distinction entre ceux qui s’étaient laissé conduire à la mort sans résister et ceux morts les armes à la main. Honte à vous, ministres intègres, conseillers vertueux… », in Jacqueline Jacqueline, op. cit., p. 204 – 205.
[11] Cette injonction au bonheur est présente dans ses dernières œuvres. Ainsi par exemple : « C’est ça le boulot. Tant qu’on est sur terre, on doit travailler pour que le bonheur devienne plus contagieux que le malheur. », in De Pitchik à Pitchouk. Un conte pour vieux enfants, Paris, Éditions du Seuil, 2023, p. 81.
[12] Dans Jacqueline Jacqueline, Jean-Claude Grumberg opère la même distinction entre écrire et parler, affirmant avec humour que jusque-là, dans ses livres, il n’a pas écrit : « Quand tu écris un conte tu n’écris pas, tu parles. Parler, c’est ce que j’ai fait toute ma vie, la seule chose que je fus capable de faire, parler, parler, parler. Mes pièces ? Ah, mes pièces ! Quand tu écris une pièce, tu n’écris pas, tu glisses deux trois bouts de dialogue dans la bouche de trois quatre personnages qui tournent en rond sur un plateau avant de saluer tête en bas. » Jacqueline Jacqueline, op. cit., p. 139.