Le texte testimonial, de la littérature à la classe, « Comment raconter sa propre mort ? »[*]
Caroline Coze, IA-IPR Lettres – académie de Créteil
Marie-Laure Lepetit, IG Lettres-cinéma
Résumé : Le texte testimonial a-t-il une valeur littéraire ? Cet article vise à répondre à cette question en retraçant l’histoire d’une polémique depuis la parution de Si c’est un homme de Primo Levi ou de L’Espèce humaine de Robert Antelme, deux récits immédiatement exclus du champ littéraire, jusqu’aux actuels travaux de la recherche portant sur ce qu’il est désormais légitime d’appeler la littérature testimoniale. Cette polémique témoigne du statut particulier et complexe du texte de témoignage, qui se situe « à la lisière de la littérature ». C’est pourquoi, il convient de réfléchir aux mises en œuvre pédagogiques pour les faire lire et étudier aux élèves des classes de collège et de lycée, ce que les deux dernières parties de cet article se proposent de faire.
Mots clés : texte testimonial ; lire et étudier ; littérature de la Shoah ; polémique littéraire ; dire l’indicible ; collège ; lycée ; cours de français
Texte testimonial et littérature : histoire d’une polémique
En somme, je ne possède rien d’autre que ma mort,
pour exprimer ma vie… [1]
Pendant longtemps, le texte testimonial n’a pas été considéré comme un texte littéraire. Si c’est un homme de Primo Levi comme L’Espèce humaine de Robert Antelme, tous deux rédigés dans l’immédiat après, ont été exclus, dès leur parution, du champ littéraire. Dans les éditions, sous le titre, aucune mention de genre. De fait, ils n’appartenaient à aucun des genres que la littérature pouvait connaître : ils n’étaient que témoignages. Dès lors, il était difficile de faire entrer ce type de textes à l’Ecole dans le cadre du cours de français.
Plusieurs raisons peuvent être invoquées. Nous en retiendrons ici trois, principales. D’abord, le texte testimonial est considéré comme un « document », circonscrit dans le temps, plus propre à intéresser les historiens que les gens de lettres. Il est, par ailleurs, un phénomène récent qui date de la Première guerre mondiale : il n’a pas passé le temps que d’aucuns pensent nécessaire pour accréditer un texte d’une valeur littéraire. Enfin, la pratique de l’écriture testimoniale paraît relever davantage du modèle narratif propre à l’acte judiciaire et se trouve, de ce fait, en rupture avec les pratiques d’écritures autobiographiques littéraires : « lorsque j’ai écrit ce livre, j’ai délibérément recouru au langage sobre et posé du témoin (…) : je pensais que mes paroles seraient d’autant plus crédibles qu’elles apparaîtraient plus objectives et dépassionnées ; c’est dans ces conditions seulement qu’un témoin appelé à déposer en justice remplit sa mission, qui est de préparer le terrain aux juges. Et les juges, c’est vous »[2].
Et pourtant, au sein même du monde littéraire, cette lecture fait débat. Georges Perec, dès 1963, affirme que le témoignage est, au contraire, une question éminemment littéraire : « Le témoin interpose entre son expérience et nous la grille d’une découverte, d’une mémoire d’une conscience allant jusqu’au bout ». En effet, le témoin élabore un travail, celui de l’écriture, qui est une mise à distance entre ce qui a été vécu par le témoin et ce qui est produit comme récit rétrospectif par le survivant. Cette mise à distance passe par une réflexion sur le langage et témoigne d’une véritable prise de position stylistique de la part des auteurs survivants. En effet, la question profondément littéraire du langage, des mots à employer pour le dire se pose de façon particulièrement sensible quand il s’agit de décrire une expérience inhumaine, une expérience « à la limite », comme la qualifie Paul Ricœur [3]. Car comment dire l’indicible ? Comment mettre ça en mots ? Les survivants qui veulent témoigner se trouvent confrontés à l’abîme absolu, celui de la totale inexistence d’un lexique pour décrire la réalité qu’ils ont subie : leur expérience inhumaine n’a pas d’équivalent dans le langage humain, elle ne peut être traduite avec les mots existants. « Il y a, dans l’histoire des camps, ‘quelque chose’, présent chez les survivants, qui ne peut être ni défini ni décrit en termes humains. », écrit Joseph Bialot quand il décide en 2002 de raconter sa déportation à Auschwitz, tout comme Primo Levi l’avait dit en 1947 dans Si c’est un homme : « Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d’un homme. En un instant, dans une intuition quasi prophétique, la réalité nous apparaît : nous avons touché le fond. Il est impossible d’aller plus bas : il n’existe pas, il n’est pas possible de concevoir condition humaine plus misérable que la nôtre » – « De même que ce que nous appelons faim ne correspond en rien à la sensation qu’on peut avoir quand on a sauté un repas, de même notre façon d’avoir froid mériterait un nom particulier. Nous disons “faim”, nous disons “fatigue”, “peur” et “douleur”, nous disons “hiver”, et en disant cela nous disons autre chose, des choses que ne peuvent exprimer les mots libres, créés par et pour des hommes libres qui vivent dans leurs maisons et connaissent la joie et la peine. Si les Lager avaient duré plus longtemps, ils auraient donné le jour à un langage d’une âpreté nouvelle; celui qui nous manque pour expliquer ce que c’est que peiner tout le jour dans le vent, à une température au-dessous de zéro, avec, pour tous vêtements, une chemise, des caleçons, une veste et un pantalon de toile, et dans le corps la faiblesse et la faim, et la conscience que la fin est proche. »[4]. Les limites de l’explication sont mises à l’épreuve et elles sont une des raisons qui constituent ce que Paul Ricœur appelle « la crise du témoignage »[5].
Outre la question des mots qu’il faudrait inventer pour dire l’expérience vécue[6], se pose la question du style. La volonté de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité » conduit les survivants qui veulent rédiger un texte testimonial à récuser tout pathos et à faire le choix de la sobriété. C’est ainsi que Paul Ricœur parle au sujet du livre de Primo Levi d’un « froid compte rendu, à la limite du documentaire » et invente à son sujet le concept de « litote de l’horrible »[7], quand J. Semprun y voit un « chef d’œuvre de retenue, de nudité fabuleuse dans le témoignage, de lucidité et de compassion »[8]. Ce style sans emphase n’est pas pour autant sans force de frappe, bien au contraire : « C’est brut, au premier degré, au niveau du coup de poing dans la gueule, sans chercher d’explications, qu’il faut essayer de rendre présent ce qui ne peut être regardé, de montrer ce qui est impossible à dire »[9]. Dans C’est en hiver que les jours rallongent, J. Bialot met en œuvre sa conception de l’écriture d’Auschwitz exposée dans la Préface. De nombreux passages peuvent l’illustrer. Pour exemple : « Equation simple : si vous n’êtes pas tatoué, vous n’entrez pas au camp, et si vous n’entrez pas au camp, c’est que vous en êtes déjà sorti, par la cheminée » [10]. La comparaison entre les épilogues de Un di Velt hot geshvign[11] et de La Nuit illustre ce manifeste de Bialot :
« Un beau jour, je me levai, et rassemblant ce qui me restait d’énergie, je me dirigeai vers le miroir qui était accroché au mur.
Je voulais me voir. Je ne m’étais pas vu depuis le ghetto.
Je me regarde dans le miroir. Un squelette me renvoie mon regard.
Rien que la peau et les os.
J’ai vu l’image de moi-même après ma mort. A ce moment-là se réveilla en moi la volonté de vivre.
Sans savoir pourquoi, je levé mon poing et cassé le miroir, cassé l’image qui y vivait.
Je perdis connaissance.
A partir de ce moment-là, mon état de santé s’améliora. »[12]
« Un jour, je pus me lever, après avoir rassemblé toutes mes forces. Je voulais me voir dans le miroir qui était suspendu au mur d’en face. Je ne m’étais plus vu depuis le ghetto.
Du fond du miroir, un cadavre me contemplait.
Son regard dans mes yeux ne me quitte plus. » [13]
Le lecteur est atteint, assurément, par ce deuxième épilogue plus condensé, et peut-être d’autant plus profondément que le style est incisif, direct, dépouillé, sans fioritures, ce qui ne signifie nullement qu’il s’agit d’un niveau zéro de la littérature[14].
Par conséquent, à lire les commentaires que les auteurs de textes testimoniaux font sur leur propre travail d’écriture, on comprend mieux pourquoi Georges Perec affirme que : « cette transformation d’une expérience en langage (…) apparaî(t) aujourd’hui comme l’exemple le plus parfait, dans la production française contemporaine, de ce que peut être la littérature »[15].
Question de langage, mais également question de langue : y a-t-il une langue plus appropriée qu’une autre pour dire l’horreur ultime ? « Il faut peut-être souligner qu’il n’est pas dans le monde de langue pour les évoquer pareille au yiddish. La littérature de l’Anéantissement serait sans le yiddish comme sans âme. Je sais, on écrit aussi en d’autres langues. Mais on ne peut le comparer. Les œuvres les plus authentiques sur l’Anéantissement, en prose comme en poésie, sont en yiddish. Est-ce parce que la plupart des victimes sont issues de cette langue et y ont vécu ? Que les professionnels répondent à cette question. »[16] Il convient ici de rappeler que c’est en yiddish qu’Elie Wiesel écrit en 1954 la première version de La Nuit, à partir des notes qu’il avait rédigées à Buchenwald. Néanmoins, en songeant à Primo Levi qui a suivi, avec un soin scrupuleux, les traductions faites de ses ouvrages, et tout particulièrement de Si c’est un homme, on aime à penser que les survivants ont à cœur de faire entendre de façon la plus large leurs témoignages et que, pour ce faire, il est essentiel que ces œuvres soient écrites dans le plus grand nombre de langues possibles[17].
Pour pouvoir dire la vérité de leur expérience, d’autres auteurs ont fait le choix de la fiction. C’est, par exemple, ainsi que Joseph Bialot a commencé (« (…) comme d’autres, j’ai tenté de l’évoquer partiellement, en le romançant, dans La gare sans nom ou La Nuit du souvenir »[18]), mais sans en être satisfait, nous venons de le voir. Imre Kertész également consacre sa vie de romancier à l’Holocauste[19] : « Que l’Académie Suédoise ait jugé bon de distinguer précisément mon œuvre prouve à mes yeux que l’Europe éprouve à nouveau le besoin que les survivants d’Auschwitz et de l’Holocauste lui rappellent l’expérience qu’ils ont été obligés d’acquérir. »[20] Dans Le refus, l’auteur explique comment Auschwitz devient pour lui un « matériau » pour la rédaction d’un roman, et s’interroge sur ce qui constitue un bien étrange paradoxe, à savoir les raisons pour lesquelles c’est un Auschwitz imaginaire qui coule sur le papier quand il écrit et non l’Auschwitz qu’il a vécu : « Pourquoi ces phrases ne contenaient-elles à mes yeux qu’une histoire imaginaire, un wagon à bestiaux imaginaire, un Auschwitz imaginaire et un garçon de quatorze ans et demi imaginaire – alors que j’avais été moi-même ce garçon ? Que s’était-il donc passé ? Qu’est-ce que les lecteurs de la maison d’édition entendaient par « expression artistique de l’expérience vécue » ? Oui : qu’était-il arrivé à « mon expérience vécue », comment avait-elle pu s’estomper sur mon papier et en moi-même ? Pourtant je l’avais vécue deux fois, une première fois – de façon invraisemblable – dans la réalité, une seconde fois d’une façon beaucoup plus réelle – plus tard, quand je me suis souvenu. Entre ces deux moments elle a hiberné. Lorsque j’ai su que je devais écrire un roman, elle ne m’est même pas venue à l’idée. (…) Puis soudain, elle a surgi de l’ombre, comme une idée. Je me suis retrouvé en possession d’un matériau qui a enfin donné une réalité définie à mes visions enfiévrées mais jusqu’alors dispersées et qui a commencé à mûrir et à gonfler en moi comme une pâte épaisse, molle et informe[21]. » [22]. Et cette hibernation est précisément ce qui rend possible la littérature[23].
De la même manière, quelques années auparavant, Jorge Semprun fait le choix de ce que François Rastier nomme « un essai autobiographique romancé »[24]. Parce qu’il s’agit de décrire une vérité invraisemblable pour la rendre vraisemblable, le choix de la fiction s’impose à lui, et ce dès l’été 1945 : « (…) je ne veux pas d’un simple témoignage. D’emblée, je veux éviter, m’éviter, l’énumération des souffrances et des horreurs. D’autres s’y essaieront de toute façon… »[25]. C’est par la littérature que Jorge Semprun répond à ce que Philippe Meyer appelle le « syndrome de l’aubergine » par référence à un épisode de la vie de Simone Veil[26] : par la fiction, il rend imaginable un événement qui ne l’est précisément pas. Et si l’auteur écrit à la première personne du singulier[27], son « je » est bien un « je » de l’autofiction, un « je » qui est nourri de son expérience personnelle et qui, en même temps, la dépasse : « Il me faut (…) un ‘je’ de la narration, nourri de mon expérience mais la dépassant, capable d’y insérer de l’imaginaire, de la fiction… Une fiction qui serait aussi éclairante que la vérité, certes. Qui aiderait la réalité à paraître réelle, la vérité à être vraisemblable. »[28] C’est par ce ‘je’, mais aussi en laissant passer le temps, qu’il parviendra à ce qu’il appelle « la distance ajustée » : « La mémoire de Buchenwald était trop dense, trop impitoyable, pour que je parvienne d’emblée à une forme littéraire aussi épurée, aussi abstraite. » [29].
Cette question du choix de la littérature, Ivan Jablonka, en historien, la pose :
« On les tue non pas comme on met à mort un être humain, en le fusillant, en l’étranglant ou en lui coupant la tête, mais comme on écrase un pou, comme on désinfecte un linge souillé. Dans Vie et Destin, le médecin Sofia Ossipovna, pieds nus sur le béton froid et lisse, meurt enlacée à un petit garçon. L’air qu’ils respirent n’apporte pas la vie, mais la chasse, et l’enfant se transforme en poupée inerte. Dans Le Dernier des Justes, Ernie Lévy a à peine le temps de crier aux enfants terrorisés : « Respirez fort, mes agneaux, respirez vite ! » Mais je ne suis pas sûr que ces scènes imaginaires soient pour nous d’un grand secours.
En revanche, la lettre de Kurt Gerstein nous apprend que le Zyklon B fait mourir dans des souffrances atroces. De plusieurs témoignages, nous pouvons inférer que les victimes se combattent, avant de mourir, pour aspirer les dernières bouffées d’oxygène (…). »[30] Il n’est pas inintéressant de noter qu’Ivan Jablonka, tout en doutant du secours que peut lui apporter la fiction, y a lui-même recours, et de façon très littéraire, quand il s’agit de reconstruire ce qu’il ignorera à tout jamais : « Mais tout cela n’est rien, je crois, à côté de la sensation d’arrachement qui se niche au fond de vos entrailles et transperce votre nuit, vous donne envie de hurler au milieu de la somnolence générale. Les enfants, la famille, les amis, les gens qui vous connaissent par votre nom ou seulement de vue, la pièce à vivre, le lit, la machine, les activités quotidiennes s’éloignent, s’échappent de vous à chaque cahot de train, ils appartiennent déjà à votre vie d’avant, et vous restez seul, dans cette masse confuse de corps en sursis, avec votre malheur et votre douleur d’être passé de l’autre côté, de ne plus appartenir au monde de ceux qui vivent, se lèvent, travaillent et se couchent en pensant à demain. »[31]
Littéraire, l’écriture du témoignage l’est également quand les œuvres sont traversées de références, souvent poétiques, d’auteurs et d’œuvres qui semblent avoir aidé les survivants à traverser leur épreuve. Outre les citations que l’on trouve fréquemment dans les textes testimoniaux, on retiendra l’incroyable chapitre 11 de Si c’est un homme, « Le chant d’Ulysse », « centre énigmatique et révélateur de l’œuvre » que « cette leçon d’italien dantesque que le narrateur dispense »[32]. On se souviendra également du Misanthrope que Charlotte Delbo échange contre sa ration de pain et que l’on lit collectivement dans le baraquement : « Qu’il parlait bien, Alceste. Que sa langue était précise et ferme, que son allure était ample.
‘Elle a la langue aussi pointue que toi, Cécile, cette Célimène’, disait Poupette qui rencontrait Célimène pour la première fois. (…) J’ai appris Le Misanthrope par cœur, un fragment chaque soir, que je me répétais à l’appel du lendemain matin. Bientôt, j’ai su toute la pièce, qui durait presque tout l’appel. Et jusqu’au départ, j’ai gardé la brochure dans ma gorge. »[33]
Littéraire, elle l’est aussi lorsque l’écriture du survivant se fait elle-même poétique :
« Il faudrait leur raconter la fumée : dense parfois, d’un noir de suie dans le ciel variable. Ou bien légère et grise, presque vaporeuse, voguant au gré des vents sur les vivants rassemblés, comme un présage, un au-revoir.
Fumée pour un linceul aussi vaste que le ciel, dernière trace du passage, corps et âmes, des copains. » [34]
Charlotte Delbo, quant à elle, entrecoupe son récit de poèmes, qui sont comme des arrêts sur image, des points d’orgue sur la partition, des pauses de beauté poignante et résonnante pendant lesquelles le lecteur retient son souffle. Ainsi, après le chapitre consacré à l’arrivée, écrit-elle :
« Ô vous qui savez
saviez-vous que la faim fait briller les yeux que la soif les ternit
Ô vous qui savez
saviez-vous qu’on peut voir sa mère morte
et rester sans larmes
Ô vous qui savez
saviez-vous que le matin on veut mourir
que le soir on a peur
Ô vous qui savez
saviez-vous qu’un jour est plus qu’une année
une minute plus qu’une vie
Ô vous qui savez
saviez-vous que les jambes sont plus vulnérables que les yeux
les nerfs plus durs que les os
le cœur plus solide que l’acier
Saviez-vous que les pierres du chemin ne pleurent pas
qu’il n’y a qu’un mot pour l’épouvante
qu’un mot pour l’angoisse
Saviez-vous que la souffrance n’a pas de limite
l’horreur pas de frontière
Le saviez-vous
Vous qui savez. »[35]
Par ailleurs, Rachel Ertel, dans son ouvrage La langue de personne montre comment la poésie yiddish, qui occupe une place toute particulière pour dire l’anéantissement, se fait elle aussi témoignage.
C’est à la fin du XXe siècle que des universitaires se sont emparés de ces œuvres et les ont intégrées à leur travail. Ils ont ainsi fait progresser la recherche et fait évoluer le regard que l’on portait sur ces textes en montrant que, au-delà de l’aspect documentaire, ils posaient de réelles questions littéraires. « Quelles pratiques spécifiques ces œuvres engagent-elles ? Comment s’éclairent-elles d’être lues selon des modalités relevant de l’analyse littéraire actuelle ? Comment nous incitent-elles à revenir sur la question même de la littérature, de la littérature contemporaine, qu’elle avoue ou non sa dette à l’égard de ces textes particuliers ? » sont, par exemple, celles que les auteurs de l’ouvrage Les camps et la littérature – Une littérature du XXe siècle se posent dès sa première édition en 1999, auteurs qui se présentent sur la quatrième de couverture comme convaincus « que la littérature d’après 45 ne pouvait être qu’une littérature d’après les camps, que l’expérience des camps a produit une littérature du XXe siècle »[36]. De fait, le génocide juif représente une rupture totale dans la pensée occidentale : il nous a fait passer de la philosophie des Lumières, un des maillons de la chaîne de pensée -partant de l’Humanisme et passant par le positivisme du XIXe siècle- qui croyait en l’idée de progrès permanents de l’humanité à l’obscurité et a ainsi créé quelque chose de très spécifique dans les différents langages artistiques[37].
Aujourd’hui les travaux se poursuivent -la publication, en 2012, du livre d’Alexandre Prstojevic, Le témoin et la bibliothèque – Comment la Shoah est devenue un sujet romanesque, en 2015, de la thèse de Catherine Coquio, La littérature en suspens – Ecritures de la Shoah : le témoignage et les œuvres ainsi que le numéro de la revue Europe de janvier-février 2016 ou bien plus récemment encore, en 2017, l’ouvrage d’Alexandre Gefen, Réparer le monde – La littérature française au XXIe siècle en témoignent- pour montrer que « les témoins ont initié un art de d’écrire qui incite à repenser les rapports entre liberté artistique et éthique de la responsabilité, renouvelle tant les notions d’auteur que de création et redéfinit les formes de l’engagement en littérature. »[38] Leurs travaux de recherches nous permettent aujourd’hui de parler de la « littérature du témoignage » en la considérant comme un genre littéraire à part entière, même si elle « demeure encore à la lisière de la littérature », comme le rappellent à juste titre Frédérik Detue et Charlotte Lacoste[39].
Si le texte testimonial est, comme l’écrit Annette Wieviorka, « un acte de vengeance »[40], il est aussi celui qui transforme l’auteur survivant en messager dont les missions principales sont :
commémorer les morts au nom desquels on s’exprime : si le survivant témoigne sur soi, il témoigne également sur le sort des camarades qui ont vécu la même horreur sans en être revenus. La littérature a alors un rôle spécifique : redonner à l’individu son individualité. De fait, « la littérature dit : regardons cette personne en particulier. Donnons-lui un nom. Donnons-lui une place. Offrons-lui une tasse de café… La force de la littérature réside dans sa capacité à créer de l’intimité. De cette sorte d’intimité qui vous touche personnellement. »[41] En affirmant la puissance de l’individualité, la sienne ou celle du camarade dont on a partagé les souffrances, la littérature est une réponse à « la violence du traumatisme provoqué par ce qui nie l’individualité »[42] ;
contribuer à la compréhension du crime et des responsabilités historiques de manière à ce que l’on puisse le juger en connaissance de cause ;
lutter contre l’oubli et contre le négationnisme ;
éduquer l’humanité : « Par la mission d’éducation qu’il se fixe, le témoignage littéraire entend devenir un classique, qui vaut au-delà des circonstances biographiques, voire des moments et des lieux qui lui ont donné naissance (…). Gardant confiance dans la rationalité du jury universel que composent les lecteurs, le témoignage prolonge l’idéal des Lumières, qui précisément a constitué la notion de droits de l’homme. Dans sa forme moderne, le témoignage naît avec l’idée de droits universels et surtout de justice universelle – mais non divine. »[43]
Et c’est tout particulièrement du fait de leur fonction éducative que les textes testimoniaux doivent occuper une place à l’École, non seulement dans le cours d’Histoire, mais également dans le cours de français. Il reste à savoir comment…
Lire le texte testimonial au lycée et au collège en cours de français
Que disent les programmes ?
« À la lisière », cette littérature du témoignage l’est dans les programmes de français, au lycée comme au collège. Dans les indications de corpus, ni les nouveaux programmes de collège ni les programmes de lycée ne la mentionnent en tant que telle, même s’il est possible, sous certaines conditions sur lesquelles nous reviendrons ci-après, de lui accorder une place, au collège en classe de Troisième, dans le cadre du questionnement « se chercher, se construire » ou dans le cadre du questionnement « agir sur le monde », explicitement lié au programme d’histoire, au lycée, au sein de l’objet d’étude : « le personnage de roman » ou « la question de l’homme ».
On le voit d’emblée à la lecture des programmes officiels, le texte testimonial n’entre spontanément dans aucun des questionnements ni des objets d’étude : il dépasse la question de l’écriture de soi, porte davantage qu’« un regard » – une expérience, un vécu – sur l’histoire, ne relève ni spécifiquement du genre romanesque ni d’aucun genre de l’argumentation. Il n’en a pas moins toute sa place, à condition cependant de respecter un cadre de travail clair et précis dont le professeur se doit d’être le garant, et qu’il convient d’expliciter aux élèves.
Points de vigilance
Avant d’entrer dans la lecture d’un texte testimonial, à la différence de ce qui peut être fait pour d’autres types de textes, il est indispensable de poser au préalable un cadre qui permette à la fois une contextualisation historique précise et une explicitation du genre spécifique qu’est le témoignage, en lien avec l’Histoire.
À ce propos, précisons d’emblée que la littérature testimoniale, loin de « s’inspirer de l’Histoire » (c’est ainsi que cela est régulièrement formulé dans les classes de français) est avant tout une réaction à l’Histoire : il est donc essentiel de penser justement les rapports entre Ecriture et Histoire, dès la formulation de la problématique.
La pratique de la lecture analytique en cours de français s’appuie d’ordinaire sur une approche intuitive, sur les réactions spontanées de la classe, pour aller vers une interprétation raisonnée. Rappelons tout d’abord la définition qui en est donnée dans les programmes : « Au cycle 4 se poursuit le travail amorcé au cycle précédent de construction du sens par la formulation d’hypothèses de lecture fondées sur des indices textuels et qui font l’objet de justifications et de débats au sein de la classe. Des écrits et des oraux aident à formaliser cette démarche. » ; au lycée, « la lecture analytique vise la construction progressive et précise de la signification d’un texte, quelle qu’en soit l’ampleur ; elle consiste donc en un travail d’interprétation que le professeur conduit avec ses élèves, à partir de leurs réactions et de leurs propositions. »
Cette pratique doit, dans le cadre de la lecture d’un texte testimonial, être adaptée et encadrée de façon spécifique. De fait, le texte testimonial se prête difficilement à une approche intuitive ou à une entreprise d’appropriation en ce que les passerelles d’identification, au regard du caractère exceptionnel de l’expérience vécue et racontée, sont quasi inexistantes et laissent une moindre place à la subjectivité du lecteur. La lecture actualisante en particulier, si riche et féconde sur des textes littéraires, est dans ce cas presque[44] toujours inopérante.
Rappelons également, de façon plus catégorique encore, ce que nous préconisons ordinairement : la lecture en classe d’un texte testimonial admet moins encore que tout texte littéraire le recours au questionnaire de lecture qui morcelle le texte et le sens dont il est porteur. Vérifier minutieusement la lecture par les élèves de Si c’est un homme n’a aucun sens. Pour les mêmes raisons, l’approche techniciste, qui conduit à inviter les élèves à formuler des remarques essentiellement formelles, au détriment de ce que dit le texte, est tout aussi stérile. A quoi sert de relever toutes les figures de style ou de s’intéresser à l’emploi des temps dans un texte testimonial si l’on ne prend pas avant tout le temps de s’intéresser à ce que dit le texte ? Si la question éminemment littéraire du « comment » est incontournable, elle ne devrait jamais être explorée de façon exclusive, au détriment du « quoi ». De la même manière que les auteurs de ces textes l’ont fait quand il s’est agi pour eux de passer à la rédaction de leur expérience[45], ce sont les liens qu’entretiennent le « quoi » et le « comment » sur lesquels il convient de s’interroger en lisant ces textes avec les élèves.
Enfin, insistons sur la vigilance qu’il convient d’accorder aux termes utilisés et sur la nécessité de nommer les choses et de les penser avec justesse et précision. Par exemple, « on ne peut se contenter d’évoquer l’humiliation quand il s’agit de négation de l’humain, on ne peut voir dans l’expérience des camps une source d’inspiration pour la littérature, comme l’indique la problématique proposée par le professeur : ici – et c’est ce qu’il eût fallu faire percevoir aux élèves, c’est bien l’Histoire qui s’impose à la littérature avec la même nécessité que l’écriture s’impose à l’écrivain. »[46] Ou encore, trop souvent, nous voyons au lycée les textes testimoniaux étudiés dans le cadre de « la question de l’Homme » comme des formes d’« argumentation indirecte », ce qui est évidemment erroné, ou pire encore peut-être, Primo Levi dans Si c’est un homme comme « personnage de roman ».
Comment lire un texte testimonial en cours de français alors ?
Davantage peut-être que la lecture analytique, la lecture cursive peut constituer une modalité tout à fait adaptée à cette littérature « à la lisière » de la littérature.
Outre le cadre préalable dont nous avons parlé plus haut, et dont le professeur est le garant -il faudra donc qu’il soit suffisamment (in)formé à la fois sur le contexte historique et sur les spécificités de la littérature testimoniale-, il est également indispensable de s’assurer, après lecture du texte, de la compréhension globale du texte par tous les élèves. Le texte testimonial ne supporte pas le contresens.
On peut ensuite, collectivement, chercher les questions que le texte soulève ou, si l’on souhaite encadrer davantage encore ce travail de lecture -et l’on a pour une fois toutes les raisons de le souhaiter-, proposer à la classe de travailler à partir d’une problématique qui fasse place à la réception (compréhension) de l’élève sans l’engager pour autant dans un débat interprétatif, mais plutôt dans un questionnement dynamique. En effet, la marge n’est ici pas suffisante pour « interpréter » dans la mesure où il s’agit généralement de textes qui s’efforcent d’être le plus clair possible et qui, par conséquent, « résistent » peu à l’interprétation.
Deux niveaux de questionnement sont alors possibles, en lien avec la formation humaniste visée par le cours de français :
un questionnement d’ordre existentiel voire philosophique : Comment survivre à la négation de l’humain ? Qu’est-ce que la dignité humaine ? Qu’est-ce que le Mal ? Qu’est-ce qui définit l’humanité chez l’Homme ?
un questionnement d’ordre littéraire : Pourquoi / Comment témoigner ?
Corpus de textes possibles à étudier en cours de français
Construire des corpus de textes testimoniaux
Si, comme nous l’avons dit ci-dessus, les programmes de français ne mentionnent pas comme telle la littérature testimoniale, ils offrent des occasions de la faire découvrir et fréquenter aux élèves de collège comme de lycée dans le cadre de l’enseignement disciplinaire mais également de projets interdisciplinaires permettant à des disciplines comme l’Histoire-Géographie, les arts plastiques, la philosophie, les langues vivantes, l’économie… de dialoguer entre elles[47]. Le professeur documentaliste a un rôle fondamental à jouer dans l’élaboration et la mise en œuvre de ce type de projets.
Les corpus doivent être conçus de manière à faire travailler les élèves autour de grandes questions humaines : la question des causes, celle du Mal, celle de la dignité humaine et de sa négation programmée et planifiée à travers des gestes et procédures d’humiliation – déshumanisation des victimes mais aussi des bourreaux-, celle de la culture, la notion de barbarie collective, celle de résilience, de résistance au désespoir, de solidarité humaine, celle également d’universalité, etc.
Pour ce faire, il est nécessaire d’avoir à l’esprit la diversité des lecteurs que constitue une classe d’une trentaine d’élèves -tous ne sont pas sensibles au même type de récit- et d’avoir conscience que la diversité des récits correspond à une multiplicité d’approches nécessaire pour tenter de dire ce réel qui échappe à l’humain. C’est pourquoi, les professeurs prendront appui sur tous les genres de récit (récits historiques, littéraires, cinématographiques, picturaux, des témoins…), sans oublier les récits des élèves. De fait, l’écriture de leur récit est ce qui peut leur permettre d’accéder à un autre niveau de compréhension, un niveau qui permet d’aborder les grandes questions de vie. Aussi on n’hésitera pas à recueillir, à l’oral comme à l’écrit, leur réception des textes testimoniaux comme leur réception de leur rencontre avec un témoin, et à leur proposer des activités d’écriture à partir des textes lus[48].
Dans la conception des corpus, on pourra croiser les différents types de témoignages. Sur un même thème, on mettra en parallèle un extrait d’une vidéo, enregistrement d’un témoignage oral d’un ancien déporté, avec la voix écrite d’un témoin qui fait autorité[49]. Pour exemple, sur le thème de la nudité, on peut faire regarder, sur le site Mémoires des déportations, la vidéo d’Yvette Lévy et faire lire en parallèle l’extrait d’Une vie de Simone Veil évoquant ce sujet[50] et celui de Et tu n’es pas revenu de Marceline Loridan-Ivens[51].
Les corpus peuvent être constitués de manière à ce que la réflexion sur les déportations de la seconde guerre mondiale soit prolongée par une réflexion sur d’autres génocides et crimes de masse. C’est alors l’occasion de traiter de façon interdisciplinaire les questions de :
la concurrence mémorielle,
la spécificité du génocide juif,
ce qu’il implique de particulier pour nous, en France,
la rupture totale qu’il représente dans la pensée occidentale, à savoir le passage de la philosophie des Lumières à l’obscurité[52], et ce que cette rupture a créé de très spécifique dans les langages littéraires et artistiques par la suite.
Pour travailler le dernier point -celui de la question de la rupture dans les langages littéraires et artistiques-, en contrepoint de l’étude de textes testimoniaux, on peut concevoir un corpus constitué du discours d’Imre Kertész recevant le Prix Nobel et affirmant qu’ « Auschwitz a mis la littérature en suspens » ainsi que de ceux d’Albert Camus et Patrick Modiano s’exprimant également sur ce que signifie écrire après Auschwitz. A ces trois discours de Nobel, on pourra associer ce que Charlotte Delbo, dans Ceux qui avaient choisi, fait dire à ses personnages quand ils reviennent sur ce qui meurt à Auschwitz : « Les Grecs nous avaient tout enseigné jusqu’à Hitler. A partir de Hitler, ils ne nous sont plus d’aucune ressource pour comprendre le monde, pour vivre en hommes. La furie sanguinaire des Atrides ne permet pas de comprendre celle des hitlériens, ne permet pas de comprendre la cruauté sadique des SS. La Grèce ne nous offre plus que des consolations, les consolations de la beauté. », « Mort Homère, mort Socrate. Eux aussi sont morts dans les chambres à gaz d’Auschwitz. », « la destruction de tout ce qui avait formé notre conscience au cours des siècles. ».
Par ailleurs, la remise en cause du langage n’est pas étrangère à cette rupture. Pour sensibiliser les élèves à cette question, il est possible de construire un corpus autour de l’indicibilité de l’Anéantissement : « Quels mots pour le dire ? »[53]. Pour tenter de répondre à cette question, on peut faire entendre la voix de trois auteurs.
Celle de Primo Levi dans Si c’est un homme :
« Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d’un homme. En un instant, dans une intuition quasi prophétique, la réalité nous apparaît : nous avons touché le fond. Il est impossible d’aller plus bas : il n’existe pas, il n’est pas possible de concevoir condition humaine plus misérable que la nôtre » – « De même que ce que nous appelons faim ne correspond en rien à la sensation qu’on peut avoir quand on a sauté un repas, de même notre façon d’avoir froid mériterait un nom particulier. Nous disons “faim”, nous disons “fatigue”, “peur” et “douleur”, nous disons “hiver”, et en disant cela nous disons autre chose, des choses que ne peuvent exprimer les mots libres, créés par et pour des hommes libres qui vivent dans leurs maisons et connaissent la joie et la peine. Si les Lager avaient duré plus longtemps, ils auraient donné le jour à un langage d’une âpreté nouvelle ; celui qui nous manque pour expliquer ce que c’est que peiner tout le jour dans le vent, à une température au-dessous de zéro, avec, pour tous vêtements, une chemise, des caleçons, une veste et un pantalon de toile, et dans le corps la faiblesse et la faim, et la conscience que la fin est proche. »
Celle de Joseph Bialot, avec cet extrait de la Préface de C’est en hiver que les jours rallongent :
« On ne compte plus les récits sur la déportation. Ils se sont accumulés.
En vain. Tout le monde écoute, personne n’entend. Peut-être l’horreur ne peut-elle s’écrire qu’avec des hiéroglyphes non encore décryptés à ce jour ?
Malgré tout leur talent, les quatre auteurs qui ont le plus fidèlement rendu compte de ce magma infernal, David Rousset, Robert Antelme, Primo Levi et André Lacaze sous une forme plus légère, n’ont fait que décrire la partie visible de l’iceberg. Il semble impossible d’aller au-delà, sauf à prendre le risque de délirer.
Il y a dans l’histoire des camps, « quelque chose », présent chez les survivants, qui ne peut être ni défini ni décrit en termes humains. La mort vécue ne peut pas se raconter, pas plus qu’on ne peut regarder le soleil en face ou rester indéfiniment sous l’eau. Auschwitz ne peut pas être « mis en mots », ni en images, ni en sons. (…)
La caméra voit, elle ne ressent pas. Elle ne peut pas montrer le gouffre qui s’ouvre en chaque individu lorsque, lucide, il commence à vivre son propre deuil. Ce n’est pas la peur de la mort qui est en cause, mais la « chose » indescriptible, l’instant indicible où s’effondrent toutes les structures morales, religieuses ou autres que chacun a construites durant son existence. C’est l’écroulement de son vécu qu’il est impossible de traduire, ce moment où chaque déporté plonge dans… QUOI ?
Malgré tout, comme d’autres, j’ai tenté de l’évoquer partiellement, en le romançant, dans La gare sans nom ou La Nuit du souvenir. Hélas, l’imaginaire est déformant. C’est brut, au premier degré, au niveau du coup de poing dans la gueule, sans chercher d’explications, qu’il faut essayer de rendre présent ce qui ne peut être regardé, de montrer ce qui est impossible à dire. »
Celle d’Elie Wiesel, avec cet extrait de la Préface à la deuxième édition :
« Certes, à un certain moment il m’était devenu clair que puisque l’Histoire sera un jour jugée, je devais témoigner pour ses victimes, mais je ne savais pas comment m’y prendre. J’avais trop de choses à dire, mais pas les mots pour le dire. Conscient de la pauvreté de mes moyens, je voyais le langage se transformer en obstacle. On aurait dû inventer un autre langage. Trahie, corrompue, pervertie par l’ennemi, comment pouvait-on réhabiliter et humaniser la parole ? La faim, la soif, la peur, le transport, la sélection, le feu et la cheminée : ces mots signifient certaines choses, mais en ce temps-là, elles signifiaient autre chose. Ecrivant dans ma langue maternelle, meurtrie elle aussi, je m’arrêtais à chaque phrase en me disant : « Ce n’est pas ça. » Je recommençais. Avec d’autres verbes, avec d’autres images, d’autres larmes muettes. Ce n’était toujours pas ça. Mais « ça », c’est quoi exactement ? C’est ce qui se dérobe, ce qui se voile pour ne pas être volé, usurpé, profané. Les mots existants, sortis du dictionnaire, me paraissaient maigres, pauvres, pâles. Lesquels employer pour raconter le dernier voyage dans des wagons plombés vers l’inconnu ? Et la découverte d’un univers dément et froid où c’était humain d’être inhumain, où des hommes en uniforme disciplinés et cultivés venaient tuer, alors que les enfants ahuris et les vieillards épuisés y arrivaient pour mourir ? Et la séparation, dans la nuit en flammes, la rupture de tous les liens, l’éclatement de toute une famille, de toute une communauté ? Et la disparition d’une petite fille juive sage et belle, aux cheveux d’or et au sourire triste, tuée avec sa mère, la nuit même de leur arrivée ? Comment les évoquer sans que la main tremble et que le cœur se fende à tout jamais ?
Tout au fond de lui-même, le témoin savait, comme il le sait encore parfois, que son témoignage ne sera pas reçu. Seuls ceux qui ont connu Auschwitz savent ce que c’était. Les autres ne le sauront jamais.
Au moins, comprendront-ils ?
Pourront-ils comprendre, eux pour qui c’est un devoir humain, noble et impératif de protéger les faibles, guérir les malades, aimer les enfants et respecter et faire respecter la sagesse des vieillards, oui, pourront-ils comprendre comment, dans cet univers maudit, les maîtres s’acharnaient à torturer les faibles, à tuer les malades, à massacrer les enfants et les vieillards ?
Est-ce parce que le témoin s’exprime si mal ? La raison est différente. Ce n’est pas parce que, maladroit, il s’exprime pauvrement que vous ne comprendrez pas ; c’est parce que vous ne comprendrez pas qu’il s’exprime si pauvrement.
Et pourtant, tout au fond de son être il savait que dans cette situation-là, il est interdit de se taire, alors qu’il est difficile sinon impossible de parler.
Il fallait donc persévérer. Et parler sans paroles. Et tenter de se fier au silence qui les habite, les enveloppe et les dépasse. Et tout cela, avec le sentiment qu’une poignée de cendres là-bas, à Birkenau, pèse plus que tous les récits sur ce lieu de malédiction. Car, malgré tous mes efforts pour dire l’indicible, « ce n’est toujours pas ça ». (…)
Malgré mes ratures innombrables, la version originale en yiddish est longue. C’est Jérôme Lindon, le patron légendaire de la petite maison d’édition prestigieuse Les Editions de Minuit qui retravailla la version française abrégée. J’ai accepté sa manière d’élaguer le texte, car je redoutais tout ce qui pouvait paraître superflu. Ici, la substance seule comptait. Je récusais l’abondance. Raconter trop m’effrayait plus que de dire moins. Vider le fond de sa mémoire n’est pas plus sain que de la laisser déborder. »
Faire lire des œuvres intégrales
Toutes les œuvres mentionnées dans ces pages peuvent également être lues de manière intégrale et faire l’objet d’une étude en classe. Certaines, en fonction des besoins des élèves, du niveau d’enseignement, des objectifs que l’on se fixe, du travail mené de manière disciplinaire ou non, ou parce que le professeur juge qu’elles demandent un accompagnement moins important, mais toujours à la condition qu’il y ait un travail de préparation spécifique en amont sur le contexte historique et la spécificité du texte testimonial, seront lues en cursive et feront l’objet de retours divers et variés en classe.
Comme pour les corpus, les œuvres seront lues selon un parcours permettant aux élèves de travailler sur les grandes questions humaines mentionnées ci-dessus. Sur la question de la déshumanisation, on sera attentif, en point d’orgue, à faire comprendre aux élèves que déshumaniser c’est enlever le sens, ne pas donner le sens de ce qui se passe[54]. Or tout être humain a besoin de sens, a besoin de comprendre ce qui se passe autour de lui -c’est la raison des mythes étiologiques dans l’Antiquité-, c’est ce qui fait qu’il est un être humain. Les témoignages sont nombreux qui disent la quête de sens par les déportés dans les camps, une quête de sens qui ne peut être qu’interprétation (d’où les modalisations « on aurait pu croire… », « on aurait pu penser… »). Et les témoignages sont nombreux qui disent que, à force, à bout de force, on abandonnait cette quête de sens, on cessait d’interpréter[55]. Et c’est précisément à ce moment-là qu’on entre dans la déshumanisation. Le chapitre « Le départ » dans Une connaissance inutile de Charlotte Delbo[56] peut constituer une lecture extrêmement intéressante pour faire réfléchir les élèves sur ce point.
Au sein du cours de français, faire lire, par exemple, Un être sans destin d’Imré Kertész ou Histoire d’une vie d’Aharon Appelfeld, qui sont tous deux des romans, c’est aussi poser la question, toute littéraire, de l’utilisation de la fiction pour dire l’Anéantissement. En guise de propédeutique à la lecture de ces œuvres et de manière à poser la problématique, on pourra faire lire aux élèves les réflexions de J. Semprun à ce sujet contenues dans le chapitre 6 de L’écriture ou la vie, « Le pouvoir d’écrire »[57] ainsi que cet extrait du Refus d’Imre Kertész :
« Pourquoi ces phrases ne contenaient-elles à mes yeux qu’une histoire imaginaire, un wagon à bestiaux imaginaire, un Auschwitz imaginaire et un garçon de quatorze ans et demi imaginaire – alors que j’avais été moi-même ce garçon ? Que s’était-il donc passé ? Qu’est-ce que les lecteurs de la maison d’édition entendaient par « expression artistique de l’expérience vécue » ? Oui : qu’était-il arrivé à « mon expérience vécue », comment avait-elle pu s’estomper sur mon papier et en moi-même ? Pourtant je l’avais vécue deux fois, une première fois – de façon invraisemblable – dans la réalité, une seconde fois d’une façon beaucoup plus réelle – plus tard, quand je me suis souvenu. Entre ces deux moments elle a hiberné. Lorsque j’ai su que je devais écrire un roman, elle ne m’est même pas venue à l’idée. (…) Puis soudain, elle a surgi de l’ombre, comme une idée. Je me suis retrouvé en possession d’un matériau qui a enfin donné une réalité définie à mes visions enfiévrées mais jusqu’alors dispersées et qui a commencé à mûrir et à gonfler en moi comme une pâte épaisse, molle et informe ».
Quant au professeur, il se rapportera également à l’étude de François Rastier dans le numéro de janvier-février 2016 de la revue Europe[58].
On pourra également aller plus loin en faisant découvrir aux élèves ce que les artistes de la deuxième, puis de la troisième génération font de cette période de l’Histoire dans leurs œuvres de fiction.
La lecture de Mensonges de Valérie Zenatti constitue une entrée des plus intéressantes. Romancière, traductrice de l’œuvre d’Aharon Appelfeld, Valérie Zenatti, dans le chapitre intitulé « Auschwitz, janvier 1994 », s’interroge : « puisque je ne peux pas être cette journaliste en direct d’Auschwitz, comment raconter ? Comment approcher ceux qui ont tracé leur nom sur les valises ? Comment retrouver leur regard de vivant ? ». Le lecteur trouvera une réponse allégorique dans le magnifique récit qu’elle rédige dans la dernière partie de cet ouvrage, « Silence », librement inspiré d’un épisode de la vie d’Aharon Appelfeld. C’est pourquoi, on pourra faire lire en parallèle de manière cursive Histoire d’une vie de cet auteur israélien.
Par ailleurs, pour faire découvrir aux élèves les problèmes historiques, littéraires et artistiques que ces œuvres de fiction peuvent susciter, les faire réfléchir sur ce qu’est la création artistique, notamment dans son rapport à la liberté, et les faire débattre, on leur proposera la lecture de Jan Karski de Y. Haenel ainsi que la polémique qui a eu lieu autour de cette œuvre, née des accusations de C. Lanzmann ou bien encore le visionnage de La vie est belle de Roberto Benigni et les critiques auxquelles le film donna lieu.
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Le professeur de lettres désireux de se pencher sur la question des textes testimoniaux trouvera grand bénéfice à lire :
L’ère du témoin d’Annette Wieviorka, Hachette Littératures, collection Pluriel, 1998, et tout particulièrement le premier chapitre « témoigner d’un monde englouti » ;
Témoigner en littérature, Europe, janvier-février 2016 ;
Les camps et la littérature – Une littérature du XXe siècle, P.U.F de Rennes, collection La Licorne, 1999, puis 2007 ;
Catherine Coquio, La littérature en suspens – Ecritures de la Shoah : le témoignage et les œuvres.
Il pourra, par exemple, faire lire en œuvre intégrale selon un parcours problématisé ou bien en corpus de textes :
Robert Antelme, L’espèce humaine
Aharon Appelfeld, Histoire d’une vie
Hélène Berr, Journal
Joseph Bialot, C’est en hiver que les jours rallongent
Charlotte Delbo, Auschwitz et après, Aucun de nous ne reviendra
Charlotte Delbo, Auschwitz et après, Une connaissance inutile
Charlotte Delbo, Ceux qui avaient choisi
Agnès Desarthe, Le remplaçant
Anne Frank, Journal
Romain Gary, La danse de Gengis Cohn
Philippe Grimbert, Un secret
Jean-Claude Grumberg, L’Atelier
Jean-Claude Grumberg, Mon père inventaire
Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus
Imre Kertész, Etre sans destin
Imre Kertész, La liquidation
Primo Levi, Si c’est un homme
Marceline Loridan-Ivens, Et tu n’es pas revenu
Patrick Modiano, Dora Bruder
Jorge Semprun, L’écriture ou la vie
Elie Wiesel, La Nuit
Valérie Zenatti, Mensonges
NOTES
[*] demande Primo Levi, cité par Paul Ricoeur in La mémoire, l’histoire, l’oubli, Editions du Seuil, Collection Points, Essais, 2000, p. 223.
[1] « En suma, no poseo para expresar mi vida, Sino mi muerte… », Cesar Vallejo, cité par Jorge Semprun in L’écriture ou la vie, Gallimard, 1994, chapitre 6 « Le pouvoir d’écrire » (Folio, p. 190).
[2] Primo Levi, Si c’est un homme, Appendice, 1976, p. 191, édition Pocket.
[3] « (…) l’expérience à transmettre est celle d’une inhumanité sans commune mesure avec l’expérience de l’homme ordinaire. C’est en ce sens qu’il s’agit d’expériences à la limite », Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Editions du Seuil, Collection Points, Essais, 2000, p. 223.
[4] Primo Levi, op. cit.
[5] Paul Ricœur, op. cit.
[6] « Peut-être l’horreur ne peut-elle s’écrire qu’avec des hiéroglyphes non encore décryptés à ce jour. », Joseph Bialot, C’est en hiver que les jours rallongent, Paris, Seuil, 2002, Préface, p. 12.
[7] Paul Ricœur, La critique et la conviction : entretiens avec François Azouvi et Marc de Launay, Paris, Hachette, 2010, p.124.
[8] Jorge Semprun, L’écriture ou la vie, Gallimard, 1994, chap. 8 « Le jour de la mort de Primo Levi » (Folio, p. 321).
[9] Joseph Bialot, op.cit., p. 14.
[10] Joseph Bialot, op. cit., p.49.
[11] Il s’agit de la première version de La Nuit d’Elie Wiesel, écrite en yiddish en 1954.
[12] Elie Wiesel, Un di Velt hot geshvign, cité in Annette Wievorka, L’ère du témoin, Hachette Littérature, Collection Pluriel, 1998, p. 58.
[13] Elie Wiesel, La Nuit, Les éditions de Minuit, 1958, pp. 199-200.
[14] Nous le montrerons dans un corpus commenté consacré à cette question du langage, de la mise en mots et de la stylisation (cf p. 14 sqr). Elle est, de fait, une des problématiques qu’il est possible de proposer à des élèves dans le cadre de la lecture collective en classe des textes testimoniaux.
[15] Georges Perec, « Robert Antelme ou la vérité de la littérature » (1963), L.G. : Une aventure des années soixante, Paris, Le Seuil, collection « La Librairie du XXème siècle », 1992.
[16] Elie Wiesel cité in Annette Wievorka, L’ère du témoin, Hachette Littérature, Collection Pluriel, 1998, pp. 68-69. La traduction est de Rachel Ertel.
[17] « Yoko Tawada, écrivain vivant à Hambourg et notamment traductrice de Celan en japonais, estime qu’un poème n’est pas achevé tant qu’il n’est pas traduit dans toutes les langues. En m’inspirant d’elle, j’aimerais dire qu’il en va de même pour le témoignage, puisqu’il s’adresse à toute l’humanité et participe ainsi à sa constitution éthique et esthétique. », François Rastier, Gaëtan Pegny, « Témoigner et traduire : sur Ulysse à Auschwitz », in Littérature 2012/2, n°166, pp. 105-119. Consultable en ligne à l’adresse suivante :
http://www.cairn.info/revue-litterature-2012-2-page-105.htm
[18] Joseph Bialot, op.cit., p. 14.
[19] « On dit à mon propos – pour m’en féliciter ou pour me le reprocher – que je suis l’écrivain d’un seul thème, l’Holocauste. Je ne trouve rien à y redire, pourquoi n’accepterais-je pas, avec quelques réserves, la place qui m’a été attribuée sur l’étagère idoine des bibliothèques ? », Imre Kertész, extrait du discours pour le prix Nobel de littérature, 2002.
[20] Imre Kertész, op. cit.
[21] Pour exprimer sensiblement la même idée, Jorge Semprun fait le choix de la métaphore de la pellicule photographique : « Comme si, en quelque sorte, la pellicule impressionnée autrefois par une caméra attentive n’avait jamais été développée : personne n’aura vu ces images, mais elles existent. Ainsi je garde en réserve un trésor de souvenirs inédits, dont je pourrai faire usage le jour venu, s’il venait, si sa nécessité s’imposait. », L’écriture ou la vie, Gallimard, 1994, chapitre 6 « Le pouvoir d’écrire » (Folio, p.230).
[22] Imre Kertész, Le Refus, Editions Actes Sud, 2001.
[23] « (…) la littérature est possible seulement au terme d’une première ascèse et comme résultat de cet exercice par quoi l’individu transforme et assimile ses souvenirs douloureux, en même temps qu’il construit sa personnalité… », écrit à Jorge Semprun Claude-Edmonde Magny, in L’écriture ou la vie, op. cit. (Folio, p. 213).
[24] François Rastier, « ‘L’odeur de la chair brûlée’ – Témoignage et mentir vrai », Témoigner en littérature, Europe, n°1041-1042, janvier-février 2016, p. 117.
[25] Jorge Semprun, L’écriture ou la vie, Gallimard, 1994, chapitre 6 « le pouvoir d’écrire » (Folio, p. 217).
[26] « Elle me raconta qu’à son retour des camps, alors qu’elle avait entrepris de décrire à ses amis d’avant-guerre dans quelles conditions sa mère, sa sœur et elle avaient vécu, elle se heurtait constamment à des interruptions désarmantes, et notamment celle-là, inoubliable : ‘C’est comme nous, il fallait faire des kilomètres pour trouver des aubergines’… Elle ne condamnait pas cette incompréhension : on ne peut pas qualifier un événement d’inimaginable et reprocher à ceux qui ne l’ont pas connu de ne pas l’imaginer », « Le syndrome de l’aubergine », Le 1, n°162, 5 juillet 2017.
[27] « (…) je suis incapable, aujourd’hui, d’imaginer une structure romanesque, à la troisième personne. Je ne souhaite même pas m’engager dans cette voie », Jorge Semprun, op. cit.
[28] Jorge Semprun, op. cit.
[29] Jorge Semprun, op. cit. (Folio, p. 210). A la page précédente, Jorge Semprun expose son projet : « La musique en serait la matière nourricière : sa matrice, sa structure formelle imaginaire. Je construirais le texte comme un morceau de musique, pourquoi pas ? » (Folio, p. 209)
[30] Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus, Editions du Seuil, 2012 (Points Histoire, p. 372).
[31] Ivan Jablonka, op. cit., pp. 327-328. D’autres passages pourraient être cités, par exemple les pp. 361sqr dans lesquelles l’historien imagine ce que Matès, son grand-père, « voit en pensée », ce qu’il « prononce à haute voix », comment il « travaille », « en silence, courageusement », comment « toutes les nuits avant de s’endormir, il fait apparaître avec le plus grand degré de précision les décors de sa vie… ».
[32] François Rastier, Gaëtan Pégny, op. cit.
[33] Charlotte Delbo, Une connaissance inutile, Les Editions de Minuit, pp. 121-122.
[34] Jorge Semprun, op. cit.
[35] Charlotte Delbo, Auschwitz et après I – Aucun de nous ne reviendra, Les Editions de Minuit, 1970, pp. 21-22.
[36] P.U.F de Rennes, collection « La Licorne ». Une seconde édition, augmentée, est parue en 2007.
[37] La question de la remise en cause du langage, que nous avons évoquée ci-dessus, y est, par ailleurs, tout à fait liée.
[38] Frédérik Detue et Charlotte Lacoste, « Ce que le témoignage fait à la littérature », Témoigner en littérature, Europe, n°1041-1042, janvier-février 2016, p. 14-15.
[39] Frédérik Detue et Charlotte Lacoste, « Ce que le témoignage fait à la littérature », Témoigner en littérature, Europe, n°1041-1042, janvier-février 2016, p. 15.
[40] Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Hachette Littérature, Collection Pluriel, 1998, p. 61.
[41] Aharon Appelfeld, cité dans Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Hachette Littérature, Collection Pluriel, 1998, p. 176.
[42] Edgar Morin, L’Homme et la mort, Paris, Seuil, 1976, p. 44.
[43] François Rastier, Gaëtan Pégny, op. cit.
[45] Se reporter aux textes du corpus consacré à la question « Quels mots pour le dire ? » présenté ci-dessous p.14 sqr.
[46] Extrait d’un rapport d’inspection portant sur une séance de lecture analytique d’un passage de Si c’est un homme, Primo Levi.
[47] EPI au collège, enseignement d’exploration et TPE au lycée offrent des cadres scolaires tout à fait favorables à ce type de pratique.
[48] Sur ce site, on se reportera à la ressource « Ceux qui avaient choisi de Charlotte Delbo », Caroline Coze, rubrique « auteurs et œuvres ».
[49] Quand on réalise ce travail de mise en écho, on voit se dessiner des motifs récurrents qui ont une réelle portée symbolique.
[50] Simone Veil, Une vie, Stock, 2007, p. 67.
[51] pp. 81 sqr, édition Grasset, 2015.
[52] Cf p. 7.
[53] Sur ce site, on se reportera à la ressource « Joseph Bialot, Primo Levi, Elie Wiesel : quels mots pour le dire ? ».
[54] « On ne le sait jamais », Charlotte Delbo Une connaissance inutile, Les Editions de Minuit, p.130
[55] « Pourquoi chercher à comprendre ? Tu sais bien qu’on ne comprend jamais. », Charlotte Delbo, op.cit, p.135.
[56] Op.cit., pp. 133-151.
[57] « (…) je ne veux pas d’un simple témoignage. D’emblée, je veux éviter, m’éviter, l’énumération des souffrances et des horreurs. D’autres s’y essaieront de toute façon… (…) Il me faut (…) un ‘je’ de la narration, nourri de mon expérience mais la dépassant, capable d’y insérer de l’imaginaire, de la fiction… Une fiction qui serait aussi éclairante que la vérité, certes. Qui aiderait la réalité à paraître réelle, la vérité à être vraisemblable. »
[58] « ‘L’odeur de la chair brûlée’ – Témoignage et mentir vrai ».