Autour de la Résistante Noëlla Rouget

Marina Bossardprofesseur de lettres-histoire, lycée professionnel Carnot-Bertin, Saumur
Paru le : 19.01.2022

Récit d’un parcours pédagogique mémoriel en lycée professionnel[1]

Résumé : À travers le récit de deux expériences pédagogiques, cet article montre comment un enseignement ancré dans le territoire des élèves contribue à mobiliser leur intérêt pour les questions mémorielles et à susciter leur engagement citoyen.  Il rend compte, d’une part, du travail mené par des enseignants de lycée professionnel avec leur classe de première puis de terminale afin de retracer le parcours de la résistante et déportée française Noëlla Rouget et de faire vivre sa mémoire. Il évoque, d’autre part, l’intérêt d’un travail de mémoire en réseau à travers la participation d’élèves de lycée général au projet « Restaurer la mémoire de la Résistance ».

Index géographique : Angers – France – Saumur

Disciplines : histoire, lettres

Niveau d’enseignement : lycée professionnel (1ère et terminale)

 

La construction du citoyen passe souvent par la compréhension de certaines situations du passé. À ce propos, Didier Daeninckx a écrit en avant-propos de Meurtres pour Mémoire : « En oubliant le passé, on se condamne à le revivre[1] ». Les cours de français, d’histoire-géographie, d’EMC (enseignement moral et civique), mais également de langues, ainsi que les nouveaux dispositifs pédagogiques, tels que la co-intervention, le chef d’œuvre, le grand oral, les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), qui peuvent concerner de nombreuses disciplines générales et professionnelles, sont autant de possibilités de travailler à la compréhension du passé et de contribuer, de ce fait, à la formation et à la construction des futurs citoyens que sont nos élèves. Par ailleurs, si le projet dont on rend compte ici, centré sur l’intérêt d’ancrer l’enseignement dans le territoire des élèves, a été réalisé avec une classe de lycée professionnel, il est tout à fait transférable au collège et au lycée général et technologique. Des transpositions sont en effet possibles dans d’autres contextes. Cet article est un encouragement à travailler dans ce sens.

Tout a commencé par… un nouveau distanciel !

Depuis mars 2020, le contexte pandémique nous a conduits à rivaliser d’idées originales afin de maintenir le lien avec les élèves pour qui l’école n’était pas toujours la priorité. Contrairement aux idées encore trop généralement reçues, les élèves de la voie professionnelle peuvent produire des travaux de très grande qualité et s’impliquer de la meilleure des manières dans des projets citoyens ambitieux, notamment lorsque ceux-ci s’ancrent dans leur territoire. C’est précisément ce que j’ai pu proposer à mes élèves d’une classe de première, dans le cadre du thème d’histoire « Guerres européennes, Guerres mondiales, Guerres totales », en découvrant sur internet l’histoire de Noëlla Rouget, née à Saumur, ville où se situe notre établissement, le lycée Carnot-Bertin.

Par ailleurs, je voulais expérimenter avec mes élèves le logiciel en ligne genial.ly[2] : l’interactivité, le design et la nouveauté pouvaient être susceptibles de motiver les élèves dans un énième contexte de cours à distance. Ce travail s’apparentait ainsi à leur échelle à un véritable travail de recherche.

De retour en cours, il s’agissait d’exploiter les informations qu’ils avaient recueillies et retenues concernant Noëlla Rouget. Son parcours étonnant a retenu leur attention et de nombreuses questions se sont posées à eux : avec un tel parcours, pourquoi sa mémoire était-elle tombée dans l’oubli ? Comment faire en sorte de remédier à ce manque de reconnaissance ? Pourquoi aucun espace ne lui rendait-il hommage à Saumur ? Un triple travail d’écriture a alors été lancé : certains élèves ont rédigé un courrier pour la communauté éducative afin de faire découvrir cette histoire au personnel du lycée, d’autres un courrier pour la presse locale afin qu’un hommage lui soit rendu dans les médias, d’autres enfin un courrier pour la mairie de Saumur afin de demander qu’un endroit de la ville lui soit dédié (La lettre à la mairie).

Les élèves étant partis en stage dès la fin de la rédaction des lettres, et afin que les courriers ne se perdent pas dans les activités estivales, j’ai décidé d’attendre septembre pour les envoyer. Les réponses ne se sont pas fait attendre. Un article est paru dans Ouest-France[3] et la mairie de Saumur a accusé réception du courrier reçu.

Les élèves sont aujourd’hui en classe de terminale et leur professeur d’histoire entend poursuivre le travail : dans le cadre du projet Restaurer la mémoire de la Résistance, il a proposé à la classe de rédiger la notice biographique de Noëlla qui figurera dans la base de données nationale de la Résistance.

Par ailleurs, afin de promouvoir le travail des élèves, une publication a été réalisée sur le site internet du lycée, et elle n’a pas été sans conséquence…

En effet, Brigitte Exchaquet-Monnier et Éric Monnier, auteurs de la biographie Noëlla Rouget, la déportée qui a fait gracier son bourreau (https://www.tallandier.com/livre/noella-rouget/), ont eu connaissance de cette publication et, tout autant intéressés que touchés par le travail de la classe, sont entrés en contact avec moi. Ils ont exprimé leur souhait de soutenir le projet et de contribuer à leur manière à son aboutissement : créer une cérémonie pour le baptême d’un lieu au nom de Noëlla. Ils ont ainsi rédigé un courrier en leur nom, et, avec leur autorisation, au nom des fils de Noëlla, au Maire de Saumur afin de soutenir le projet des élèves. En parallèle, a été organisée pour les élèves une visite à la mairie consacrée à la question de la démocratie participative, occasion de se rendre compte de toute la machine qui s’active lorsqu’ils envoient un courrier en mairie. Ils ont ainsi obtenu des précisions sur les modalités de baptême d’un lieu dans une municipalité (qu’est-ce qui rentre en compte pour le choix du nom ? Qui prend la décision ? Quels délais ? Quelles difficultés ? ) et ont ainsi mieux compris le fonctionnement de nos institutions et appréhendé pleinement leur citoyenneté.

Un travail de mémoire en réseau

Les élèves du lycée David d’Angers travaillaient de leur côté au projet « Restaurer la mémoire de la Résistance » en récoltant de la terre de Corzé : c’était là qu’avait été arrêté, dans sa propre salle de classe, l’instituteur Adrien Tigeot, le fiancé de Noëlla Rouget. Les élèves de David d’Angers et leur professeur se sont donc rendus au début du mois d’octobre sur le site de l’ancienne école de Corzé où ils ont rencontré d’anciens élèves, dont l’un avait assisté à l’arrestation de son maître. Puis, le 17 octobre, à Châteaubriant, à la carrière des fusillés, la classe a participé à la commémoration annuelle des événements du 22 octobre 1941, dont c’est, cette année, la 80ème anniversaire : ils ont remis la terre qu’ils ont collectée, terre qui vient rejoindre les 13 autres collectes de cette année. En effet, 14 délégations avaient fait parvenir des terres de lieux de Résistance, soit une collecte par région ainsi qu’une collecte italienne afin de mettre en évidence le caractère international de la Résistance. C’est donc toute la région des Pays de la Loire que représente la terre de Corzé. Elle trouvera sa place prochainement dans l’alvéole du département creusée dans le monument des fusillés, une alvéole qui revêt pour nous un aspect très personnel puisqu’elle permet de faire apparaître l’histoire de Noëlla Rouget et d’Adrien Tigeot au milieu des 182 autres alvéoles que compte le monument[4].

 

[1] Didier Daeninckx, Meurtres pour mémoire, Paris, Gallimard,1984, p. 7. Le romancier reprend cette phrase à George Santayana dans The Life of Reason. Cf. Philippe Mesnard, Les paradoxes de la mémoire – Essai sur la condition mémorielle contemporaine, Paris, Le Bord de l’eau, 2021, p. 32-33.

[2] Il s’agit d’un outil web disponible en version gratuite qui permet de produire des infographies animées, des présentations interactives, des escape games.

[3] L’article est consultable à l’adresse suivante : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/saumur-49400/saumur-des-eleves-rendent-hommage-a-la-resistante-noella-rouget-49779d5c-0f1b-11ec-9a44-75f6deb9d765

[4] Deux articles sont parus d’une part dans Ouest-France, d’autre part Le Monde, respectivement consultables aux adresses suivantes :  

https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/angers-un-cours-d-histoire-vivant-pour-les-lyceens-de-david-d-angers-a-corze-1c5758f6-2d13-11ec-9285-f388b2ea32b0

https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/15/c-etait-un-lundi-matin-le-recit-de-l-arrestation-d-un-instituteur-resistant-en-1943-par-ses-anciens-eleves_6098544_3224.html

Par ailleurs, le projet a été évoqué dans la revue de presse de France inter le samedi 16 octobre 2021 : https://www.franceinter.fr/emissions/la-revue-de-presse-du-week-end/revue-de-presse-du-samedi-16-octobre-2021

 

[1] Ce travail s’est fait en collaboration avec Romain Barre, professeur de Lettres-Histoire, qui a actuellement les élèves en Terminale professionnelle.