L’art de la maquette et la représentation tridimensionnelle du passé

Cette notice fait partie du dossier: N°18. Mémoires hors les murs / Memories in-situ
Carlo SalettiHistorien, éditeur & metteur en scène
Paru le : 05.02.2024

The historical miniature, a mainly static small-scale reproduction of an event, a place or a person from the past, offers museum visitors a representation in which its nature as a mimetic artifact is clearly stated. Anchored to a solid archival, historiographic and iconographic documentation—to which it must remain faithful in order to perform its first purpose—the model cannot however dissimulate its scenic character: it proposes a reconstitution of the past through its staging.

Keywords: historical miniature, mimetic artifact, museum, realism, reconstitution.

 

La maquette historique, reproduction principalement statique à petite échelle d’un événement, d’un lieu ou d’un personnage du passé, offre aux visiteurs du musée une représentation dans laquelle sa nature d’artefact mimétique est clairement déclarée. Ancrée à une solide documentation archivistique, historiographique et iconographique – à laquelle elle doit rester fidèle pour remplir sa fonction première –, la maquette ne peut cependant cacher son caractère scénique : elle propose une reconstitution du passé à travers sa mise en scène.

Forte d’une tradition longue et reconnue, la maquette apporte à ce qu’elle représente une tridimensionnalité d’une consistance bien différente de l’illusion de réalité produite par la technologie numérique. Objet solide, elle a une dimension spatiale dont le visiteur doit tenir compte et qui détermine ses axes de vision. Ainsi, le visiteur peut être placé frontalement dans une position obligée – dans ce cas, la maquette se présente comme une boîte scénique parfaite, dont le contenu est observé comme à travers la présence du quatrième mur (notoirement, l’une des conventions les plus établies de la fiction, notamment théâtrale) – ; ou bien il peut être libre de faire le tour de la vitrine en verre ou en plexiglas dans laquelle elle est souvent enfermée, en se déplaçant le long d’un ou plusieurs de ses côtés, pour varier le point de vue et l’observer sous différents angles. La maquette vise ainsi à représenter le passé, offrant à l’individu ou aux groupes une vision à la fois globale et détaillée – on pourrait la définir comme intégrale.

L’art de la maquette, à la création de laquelle parti- cipent aussi bien les historiens que les sculpteurs et les maquettistes, représente l’une des manières de raconter le passé dans un musée. Comme le photogramme d’un film, la maquette découpe le temps. Elle l’arrête dans un des instants qui le composent et elle l’illumine, de sorte qu’il peut être perçu et vu comme tel. La maquette est toujours le fragment d’une historicité attribuable à un jour, un mois ou une certaine période et, précisément pour cette raison, elle est indissociable de sa datation. Et cette dernière, ancrant la maquette dans un passé précis qui exige qu’elle soit réalisée avec le plus haut degré d’exactitude, constitue le trait principal par lequel la maquette établit un pacte d’authen- ticité avec le passé représenté. Authenticité qui peut être encore renforcée à l’aide d’autres vecteurs d’information, notamment avec des reproductions de photos historiques et de documents d’archives en rapport avec des détails présents dans la maquette, et/ou être mise en œuvre avec des technologies audio et vidéo qui augmentent le contenu et offrent au visiteur la possibilité d’interactivité. De plus, des partitions narratives peuvent être introduites concernant l’éclairage et la sonorisation de la maquette. La lumière peut changer sur la scène, pour suggérer de manière naturaliste des changements environnementaux, ou se transformer d’un mode diffus à un mode sélectif, pour mettre en évi- dence des parties, et ainsi de suite avec le son, qu’il soit composé de notes, d’accords ou de bruits.

Le visiteur, qui s’arrête et observe la maquette, le plus souvent la surplombe. La perspective aérienne qui est la sienne permet à l’œil de glisser sur les parties qui la com- posent. Elle lui permet d’appréhender toute la scène d’un coup d’œil. Par la suite, son regard se pose sur les détails qui la composent. Après l’émerveillement devant l’habileté avec laquelle la maquette est réalisée, le désir d’explorer les détails surgit chez l’observateur. Ce qui est observé apparaît alors comme cristallisé : juste un instant extrait de l’écoulement du temps. Mais quel instant ! La vision du passé que le réalisateur a voulu donner se présente à nos yeux dans son intégralité, avant d’être décomposée en ses multiples élé- ments riches d’informations et de pathos. Ce sont les hautes éclaboussures qui poussent comme des champignons dans les eaux de la Manche, causées par les bombes larguées par les Stukas allemands, tandis que les soldats du corps expéditionnaire britannique cherchent frénétiquement un embarquement qui les ramènera à leur patrie dans la maquette créée pour le musée de Dunkerque ; l’excitation et le désespoir brutal qui se produisent durant l’assaut de la tranchée allemande dans le montage, vraiment impressionnant, que donne à voir le Musée des trois guerres des Ardennes ; la vue étendue et inédite de la topographie du quartier nord de Bałuty, dans la ville de Łódź, transformé par les nazis en l’un des principaux lieux d’internement des Juifs, sur le plan-relief exposé dans l’ancienne gare de Radegast, point de départ du transport au centre d’extermination du Generalgouvernement ; la mort du général de brigade Villarey lors de la bataille qui opposa les Italiens aux Autrichiens le 24 juin 1866, devant la plaine d’Oliosi au pied du lac de Garde, dans l’exposition permanente installée dans ce petit village italien… Il n’y a là que quelques-uns des exemples qui peuvent être cités.

La muséographie récente, qui a redécouvert l’art de la maquette, reconnaît sa fiabilité. La maquette, en effet, est stable, à l’abri des caprices des technologies les plus sophistiquées et, donc, elle n’est plus sujette aux pannes ou à l’obsolescence précoce. Grâce à son impact scénographique, ses caractéristiques de corps solide et sa capacité à se présenter comme un point central où se rassemblent les sources pour la reconstruction du passé, la maquette représente un pôle narratif très sophistiqué et une aide précieuse à la connaissance et la diffusion historiques. ❚