Carola Hähnel-Mesnard (ALITHILA, Université de Lille) propose une intervention sur la difficulté de se souvenir de la RDA et d’articuler une mémoire nuancée, qui ne peut se limiter au régime répressif ou à l’«ostalgie».
Dans l’espace public, quand la RDA est évoquée – que ce soit en Allemagne et a fortiori en France – deux représentations existent en effet, l’une axée sur la répression, le régime totalitaire ou du moins qualifié de tel, et l’autre portant sur la fétichisation de la RDA et de ses objets. La première représentation est omniprésente, notamment dans les médias, à la télévision et au cinéma, et s’illustre bien souvent par la surreprésentation des œuvres mettant en scène – parfois de manière caricaturale – la police secrète de RDA, la Stasi (en témoignent, entre autres, deux épisodes de la série française à succès HPI, diffusée sur TF1 et battant tous les records d’audience).
Cette image omniprésente de la répression favorise les analogies entre le régime est-allemand et la dictature du national-socialisme, ce qui encourage une relativisation du nazisme. Or, Hannah Arendt avait déjà souligné l’importance de distinguer régimes autoritaires et totalitaires, et avait invité à employer le terme de «totalitarisme» avec parcimonie. Quant à l’historien Martin Sabrow, il constate un besoin de changement d’optique dans la façon d’appréhender la RDA, qui doit s’effectuer en donnant plus de place à la recherche portant sur la vie quotidienne.
Dès les années 1990, une partie du monde de la recherche recommande de privilégier l’histoire sociale et l’histoire du quotidien, afin de mettre en lumière l’écart entre la volonté de domination de l’état et ce qui est perçu. Ces recommandations ne seront toutefois que partiellement suivies, l’historien Horst Möller considérant ainsi que «la Stasi caractérise mieux la RDA que les crèches». On constate ici une prédominance des récits par et pour des Allemands de l’Ouest, au détriment de l’histoire de la RDA qui est réduite à des clichés. Un exemple frappant se trouve dans le récit Les Amnésiques de Géraldine Schwarz, qui écrit que les Allemands de l’Est «vivaient dans une bulle, où aucune des richesses intellectuelles et culturelles du monde ne pénétrait», ce qui témoigne d’une ignorance, voire d’une méconnaissance de la RDA qui entretient une vision biaisée de la réalité.
Face au manque d’espace mémoriel propre, les Allemands de l’Est se trouvent donc dessaisis de leur mémoire, marginalisés alors même qu’il s’agit de leur histoire : le récit de leur propre histoire est écrit et raconté par d’autres. La littérature est alors souvent le seul lieu où des représentations plus nuancées peuvent avoir lieu, on peut citer le travail de Lutz Seiler, récompensé en 2023 par le prestigieux prix Georg Büchner.
Résumé de l’intervention: Gabrielle Desmet