Des statues, des boulons et leurs écrous La particularité la plus frappante des monuments est qu’on ne les remarque pas – rien au monde de plus invisible, écrivait à une tout autre époque que la nôtre l’écrivain autrichien Robert Musil (1880-1942). Ironie de l’histoire, les récents déboulonnages et graffitis visant des statues ont donné à celles-ci une visibilité qu’elles avaient perdue depuis longtemps et à laquelle avait généralement succédé beaucoup d’indifférence. Belges et familiers du pays connaissent les conséquences criminelles de la possession par Léopold II de l’Afrique centrale ; en France, on sait que Colbert a été l’instigateur du Code noir et fortement impliqué dans des entreprises esclavagistes. La liste est longue jusqu’à aujourd’hui, longue comme l’histoire de l’Occident et de l’« homme blanc », à laquelle s’ajoutent celles de l’Orient et de l’Asie dont les civilisations étaient elles-mêmes expertes en matière de trafic d’êtres humains et de réduction de ceux-ci à l’état des choses dont elles avaient besoin. Car il faut aussi vivre avec l’idée que l’histoire dont et d’où nous venons est faite de crimes, je veux dire des pires. Plus que de faire réapparaître les effigies de leurs acteurs en les plaçant sous le feu de projecteurs qui ne retiendront qu’un temps notre attention, les récents actes dits de déboulonnage devraient nous rappeler la réalité de cette violence à la fois structurelle et plurielle, propre à chaque mouvement de civilisation. Pour continuer de filer la métaphore, avec les boulons, n’oublions ni les écrous, ni la charpente. En ce qui concerne les questions de mémoire et d’héritage, cela signifie pour Mémoires en jeu de ne pas laisser l’attention se focaliser exclusivement sur des individus du passé, si détestables soient-ils, pour les faire comparaître une fois de plus sur la scène idéaliste d’un tribunal de l’histoire faisant d’eux des héros négatifs érigés en figure du Mal. Il s’agit, d’une certaine manière, de démémorialiser ces Léopold II, Colbert, Edward Colston, Robert Milligan and C° en les replaçant parmi les conditions non seulement qui ont rendu leurs crimes possibles, mais aussi qui ont fait et font toujours du crime un des rouages par lesquels s’articulent politique et économie. Philippe Mesnard |
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| Christian Biet lors d’un entretien filmé avec Philippe Mesnard sur le théâtre de Primo Levi (2008, INHA, Paris). ©Philippe Mesnard | | Disparition de Christian Biet C’est avec beaucoup de tristesse que l’équipe de Mémoires en jeu a appris le décès accidentel et extrêmement brutal de Christian Biet, grand spécialiste de théâtre de renommée internationale et, parmi ses nombreux titres, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’Université Paris-Nanterre, le 13 juillet 2020. Nous avions la chance de le compter parmi les membres du comité scientifique de la revue. Sa disparition nous touche profondément, un hommage lui sera rendu dans le n° 12 de décembre 2020. |
| Pour Walter Benjamin. Lettre ouverte « Si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront plus en sûreté ». 80 ans à peine nous séparent de ces mots – qui résonnent aujourd’hui d’une sinistre manière. Après l’escape game de Portbou « Sauvez Walter Benjamin » – un jeu de rôle obscène qui invitait les participants à revivre ses derniers jours –, voici venu le sombre temps, beaucoup plus grave, d’un tout autre ordre, le temps d’une nouvelle instrumentalisation du destin du philosophe allemand qui s’est donné la mort pour échapper au nazisme. Une trahison d’une toute autre portée. En effet, au détour du programme de Louis Aliot, député du Rassemblement national, et candidat “sans étiquette” à la mairie de Perpignan, on découvre non sans frémir sa volonté de réouvrir le « centre d’art Walter Benjamin », aujourd’hui fermé, pour en faire un lieu dédié « à la création et au devoir de mémoire (mise en place d’expositions, de conférences, de résidences d’artistes, création in situ …).” Laisserons-nous Walter Benjamin devenir un butin, un trophée, une prise de guerre dans la vaste tentative de dédiabolisation, puis de normalisation du Rassemblement national, qui dans ce but n’hésite pas à évoquer, outre la mémoire juive, les gitans et l’histoire tragique de la retirada espagnole ? Lire la suite | | Cimetière de Portbou. © Anne Roche |
| Iouri Dmitriev dans le couloir du tribunal, 2019. © Valeri Potachov | | Memorial exige la liberté pour Iouri Dmitriev Le 8 juillet 2020 eut lieu la dernière audience du procès mené contre l’historien Iouri Dmitriev au tribunal de Petrozavodsk (Carélie). Ce militant de la mémoire, auquel on doit notamment la découverte du charnier de Sandarmokh où reposent 6241 victimes de la Grande Terreur stalinienne, a été jugé à huis-clos pour des actes pédophiles soi-disant commis sur sa fille adoptive : une affaire fabriquée de toutes pièces qui fait de Dmitriev à l’évidence un détenu politique (voir la Tribune publiée dans Le Monde). Un premier procès lui avait été intenté auparavant pour pornographique pédophile (Mémoires en jeu s’en faisait l’écho en 2017). Reconnu innocent alors, la décision du tribunal avait été annulée, mesure suivie d’une nouvelle arrestation.Le procureur a requis 15 ans de réclusion criminelle contre l’historien âgé de 64 ans. Le verdict sera rendu le 22 juillet.Lire la suite |
| Un dialogue entre Rithy Panh & Vicente Sánchez-Biosca Mémoires en jeu vient tout juste de mettre en ligne une vidéo proposée initialement par le Bophana Audiovisual Resource Center (centre d’archives non gouvernemental qui s’engage à raviver la mémoire du Cambodge et à promouvoir la culture cambodgienne) dans laquelle le professeur en études cinématographiques Vicente Sánchez-Biosca (université de Valencia, Espagne), s’entretient avec le cinéaste Rithy Panh. Cette vidéo est la captation d’un échange qui s’est tenu il y a tout juste un an (le 16 juillet 2019) dans le cadre de la quatorzième conférence biennale de l’International Association of Genocide Scholars. Le tournage a été réalisé par l’équipe du Centre Bophana.Voir la vidéo | | Rithy Panh (IAGS conference, 16 juillet 2019, Chaktamuk Theater, Phnom Penh, Cambodge). © DR |
| AfricaMuseum, Tervuren, 2020. © Philippe Mesnard | | Mémoires postcoloniales En écho à l’actualité et au dossier publié dans le n° 10 : “Au carrefour des études mémorielles, postcoloniales et de genre”, Mémoires en jeu a récemment publié en ligne un article de Margarida Calafate Ribeiro et António Pinto Ribeiro sur la question de la restitution des œuvres d’art envisagée à partir d’une étude de l’AfricaMuseum, nouvelle institution qui remplace le Musée royal d’Afrique centrale (Tervuren, Belgique), fermé en 2018.Des ouvrages sur des questions connexes ont par ailleurs été publiés ces derniers mois. La rédaction de Mémoires en jeu a notamment repéré le livre dirigé par Yvan Daniel & Yves Claveron Littératures francophones et mondialisation (Les Perséides, 2019) et celui dirigé par Charles Forsdick, Etienne Achille & Lydie Moudilen Postcolonial Realms of Memory: Sites and Symbols in Modern France (Liverpool University Press, 2020). Avis aux auteurs qui souhaiteraient en rendre compte pour la revue.Lire l’article de M. Calafate Ribeiro & A. Pinto Ribeiro |
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