Si la notion de désastre évoque la littérature apocalyptique comme genre et la tradition des Lamentations (Jérémie), en revanche, celles-ci n’entrent pas pleinement dans l’écriture du désastre dont la notion, en tant que telle, revient à Maurice Blanchot. Ce dernier l’a plus spécialement développée dans son recueil éponyme, composé de fragments, L’Écriture du désastre (1980) paraissant sept ans après Le Pas au-delà avec lequel il forme une sorte de diptyque. Cette catégorie, émergeant donc à ce moment dans le champ intellectuel, vient intégrer les textes testimoniaux sur les camps de concentration et le génocide.
Le désastre ne se réduit pas à envisager l’événement comme cataclysme de l’Histoire, mais à faire de l’écriture elle-même un lieu où le désastre se manifeste comme tel. Plus qu’une écriture de survivant, le désastre est le lieu d’énonciation du revenant. Langue fantomatique qui a incorporé la voix des disparus. Le désastre est l’écriture où s’enfouissent comme dans une crypte les cendres de ceux qui restent sans sépulture. Littérature testimoniale et testamentaire, testamentaire parce que testimoniale.
Le désastre est un mouvement de pensée particulièrement complexe, car comme souvent chez Blanchot, les concepts se déploient en paradoxes, voire en apories. Le désastre est d’abord un défi à notre représentation du temps dans la mesure où il est à la fois ce qui a déjà eu lieu et, en même temps, ce qui est le plus proche. Ainsi, il n’y a ni espace, ni temps précis qui puissent accueillir le désastre. Mais le présent est le temps de la _revenance_ du désastre, ce moment où le temps lui-même peut faire retour, mais comme pulvérisé par le désastre. Ainsi, l’apocalypse « a toujours déjà » eu lieu bien que toujours à venir.
L’écriture du désastre met en scène une véritable poétique, qui privilégie le fragment, comme l’annonçait déjà Primo Levi dans ses quelques mots d’introduction à Si c’est un homme. Le fragment mime le bris, le débris, l’éclat, il échappe à toute volonté chronologique, à tout rassemblement, il dit l’incommensurable de la perte et son ressassement. Il déconstruit la possibilité même de toute narration. À cet égard, l’œuvre de Charlotte Delbo est particulièrement significative, elle exprime à travers son écriture poético-fragmentaire le bouleversement de la langue, traversée par l’horreur, confrontée au mutisme ou à son contraire, comme un balbutiement infini. Donner à toute disparition, à toute cendre, une voix tout à la fois anonyme et singulière, telle pourrait donc être la tâche de l’écriture du désastre.
Ajoutons que philosophiquement, le désastre blanchotien s’inscrit dans la proximité du concept de passivité tel que Levinas a pu l’exposer dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, et ce, dans la mesure où le désastre est ce qui échappe à toute forme d’expérience. Le désastre est pur subissement, selon le néologisme forgé par Blanchot.