Collaboration et épuration : le cas de l’URSS durant la « Grande Guerre Patriotique »
Parmi les nombreuses zones d’ombre dans l’histoire de la « Grande Guerre Patriotique », figurent, pour des raisons différentes, la question des partisans et celle de la collaboration. La première a été recouverte par des strates de littérature hagiographique et propagandiste vantant « l’union indéfectible du Parti et du peuple » ; la seconde a fait l’objet d’une véritable damnatio memoriae. Depuis peu, cependant, de nouvelles recherches, favorisées par l’accès à des fonds d’archives longtemps fermés, ont permis d’avancer dans la connaissance de ces aspects méconnus, et pourtant essentiels, de la Seconde Guerre mondiale sur le front de l’Est.
La question de la collaboration en URSS a été longtemps réduite à l’épisode du général Vlassov. Ce général soviétique, capturé par les Allemands en juillet 1942, accepta de prendre la tête d’un Comité russe de libération, basé dans un premier temps à Smolensk, occupée par les Allemands dès juillet 1941. Dans l’appel lancé depuis cette ville en décembre 1942, le Comité russe de libération définit trois objectifs : chasser Staline « et sa clique » ; conclure avec l’Allemagne une « paix des braves » ; créer, dans la nouvelle Europe de l’après-guerre, une « Russie nouvelle, sans bolcheviks ni capitalistes ». Malgré l’appui logistique des Allemands, qui larguèrent des millions d’exemplaires de « L’Appel de Smolensk » au-dessus des lignes soviétiques, ce texte ne rencontra guère d’écho parmi une population soumise à une occupation d’une brutalité extrême. En outre, jusqu’à l’été 1944, les plus hautes autorités nazies n’accordèrent qu’une attention très limitée au Comité russe de libération. Il fallut attendre la débâcle de la Wehrmacht pour que le Haut Commandement allemand se décidât à jouer enfin la carte Vlassov. Celui-ci fut autorisé à organiser, en novembre 1944, à Prague, un congrès fondateur du Comité de libération des peuples de Russie, dont le programme reprenait, pour l’essentiel, les grandes lignes de l’Appel de Smolensk. Deux divisions de l’Armée Russe de Libération furent mises sur pied. Jusqu’à la reddition de l’Allemagne nazie, les Vlassoviens combattirent avec acharnement sur le front de l’Est. Une partie d’entre eux fut capturée par l’Armée soviétique ; les autres se rendirent aux troupes américaines, qui les remirent aux Soviétiques. En juillet 1946, Vlassov et ses principaux officiers furent jugés par un tribunal militaire à huis clos à Moscou et condamnés à mort. Selon les archives, récemment déclassifiées, du Goulag, en juillet 1946 le « Département des déplacés spéciaux » gérait environ 350 000 Vlassoviens condamnés à une peine de six ans de relégation dans les régions particulièrement dures de la Kolyma et du Grand Nord (Norilsk, Vorkouta, Oukhta-Petchora). Le qualificatif de Vlassoviens était en réalité appliqué non seulement aux Soviétiques qui avaient effectivement servi dans les unités de l’Armée Russe de Libération (qui ne compta jamais plus de 40 000 hommes), mais à un grand nombre de civils et de militaires ayant été compromis, d’une manière ou d’une autre, avec l’occupant. Par ailleurs, environ 400 000 personnes furent condamnées en 1943-1946 à de lourdes peines de camp (10 à 25 ans) pour « trahison de la Patrie ». Ainsi, au total, quelque 750 000 Soviétiques furent condamnés, à une peine de camp ou d’exil, pour un fait de collaboration ou de compromission avec l’occupant. Les données officielles font état, en outre, de 42 000 condamnations à mort pour « trahison de la Patrie » pour les années 1944-1946, mais c’est sans compter le nombre, sans doute élevé, d’exécutions sommaires de « traîtres » dans le feu de la reprise, par les unités de l’Armée soviétique ou par les détachements de partisans, des territoires occupés par les Allemands. Tout compte fait cependant, considérant les ordres de grandeur du nombre de Soviétiques restés sous le joug nazi dans les territoires occupés (65 millions), des pertes civiles (11 millions) et militaires (plus de 10 millions), l’ampleur de la collaboration- compromission avec l’occupant, qui concerna grosso modo environ un million de personnes, resta – statistiquement, humainement et politiquement parlant – assez marginale en URSS. Comme l’écrit Jan Gross, « la collaboration émerge à l’intersection des intentions de l’occupant et des perceptions de l’occupé quant aux possibilités qui s’offrent à lui » (Deak, Gross & Judt, p. 26). Globalement, l’imposition de « l’Ordre nouveau nazi » à l’Est, ordre colonial vis-à-vis des populations slaves et génocidaire vis-à-vis des Juifs, ne laissait guère d’espace à une collaboration volontaire, choisie et assumée. Même si le régime d’occupation et par conséquent les rapports entre occupants et occupés ont considérablement varié en fonction de l’espace et du temps.
Le régime nazi a d’emblée fait une distinction entre les Slaves, majoritaires dans la population des territoires occupés de l’URSS, voués à devenir des esclaves de la « race des seigneurs aryens », et un certain nombre de minorités promises à un traitement plus clément. Parmi celles-ci, les descendants des colons allemands installés en Russie depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, qualifiés par les nazis de Volksdeutsche, constituaient les éléments les plus dignes d’un traitement privilégié. Plus, ils devaient reprendre leur fonction de maîtres des territoires conquis. « Racialement proches », les Baltes, et tout particulièrement les Estoniens, devaient eux aussi être favorisés, de même que les Cosaques, prétendument « descendants des Goths ». À un degré inférieur de l’échelle des races, les représentants de certains peuples caucasiens ou turco-mongols (comme les Tatars de Crimée ou les Kalmouks, par exemple) pouvaient être utilisés comme agents civils ou supplétifs militaires.
Du côté des occupés, l’attitude des populations a été très variée : les populations des territoires qui venaient tout juste d’être annexés par l’URSS (Ukraine et Biélorussie occidentales, à partir de septembre 1939 aux dépens de la Pologne ; pays baltes, à partir de l’été 1940 et Bessarabie, annexée la même année aux dépens de la Roumanie) ont, au cours de l’été 1941, accueilli les soldats allemands en « libérateurs du joug bolchevique ». Aussitôt après la fuite des autorités soviétiques, des milices locales se lancèrent dans la chasse aux « judéo-bolcheviques » et perpétrèrent, souvent avant même l’arrivée des Allemands, des massacres massifs de Juifs. En revanche, l’attitude des populations des territoires soviétisés de longue date a été naturellement différente. Néanmoins, notamment en Ukraine, le ressentiment de larges segments de la population rurale envers le pouvoir soviétique responsable des terribles famines du début des années 1930 et les rumeurs d’une prochaine dissolution des kolkhozes honnis par les autorités allemandes d’occupation, favorisèrent, du moins au cours des premiers mois, l’émergence de dispositions plutôt favorables aux occupants.
D’emblée, les autorités d’occupation mirent en place, sur les vastes territoires occupés, une administration locale visant à encadrer la population et à veiller au maintien de l’ordre : starostes (responsables de village), starchines (responsables d’une administration cantonale ou d’un arrondissement urbain) et politsai (auxiliaires locaux de services de sécurité de l’occupant) – mentionnons aussi une dernière catégorie, les interprètes, chargés de faciliter la communication entre les autorités d’occupation et la population. Tous étaient recrutés sur place, d’abord parmi les volontaires pour ce genre de poste ; ceux-ci ne manquaient pas dans les régions où le ressentiment, voire la haine vis-à-vis du régime soviétique étaient fortes. Ailleurs, plus à l’est, les Allemands durent souvent exercer des pressions pour recruter ces agents, mal payés et peu respectés (quand ils n’étaient pas considérés comme des traîtres) par leurs concitoyens.
Outre des auxiliaires d’administration civile (au nombre d’environ 200 000 début 1943), les Allemands recrutèrent largement – et de plus en plus à mesure que la guerre se prolongeait et que les pertes militaires allemandes croissaient – des supplétifs militaires : Hiwis (abréviation de Hilfswillige – auxiliaires volontaires), hommes à tout faire, non armés, chargés de toutes les basses besognes dans les unités de la Wehrmacht, mais aussi dans les camps de concentration ou dans le cours des opérations génocidaires menées contre la population juive. De très nombreux Hiwis (on en comptait près de 500 000 début 1943) furent recrutés parmi les prisonniers de guerre soviétiques, de préférence non-Slaves. Être accepté comme Hiwi signifiait échapper à une mort certaine, à plus ou moins brève échéance, par malnutrition, épuisement ou mauvais traitements.
Un degré supplémentaire, cette fois-ci décisif, dans la voie de la collaboration, était franchi avec l’engagement d’individus dans des unités supplétives armées chargées de la lutte contre les partisans. Ces unités étaient formées le plus souvent d’anciens prisonniers de guerre soviétiques originaires d’Asie centrale, du Caucase, mais surtout des pays baltes et d’Ukraine occidentale. À l’été 1943, plus de 80 000 Soviétiques (dont une grande majorité de Baltes et d’Ukrainiens de l’ouest) participaient, aux côtés des Allemands, aux opérations anti-partisans. Il faut mentionner, enfin, des unités militaires formées de citoyens soviétiques, mais commandées par des officiers allemands et engagées dans des combats contre l’Armée soviétique : une centaine de bataillons recrutés, pour l’essentiel, parmi les prisonniers de guerre soviétiques originaires du Turkestan, du Caucase et des petites républiques volgo-ouraliennes. Deux brigades de cavalerie – l’une kalmouke, l’autre cosaque –jouissaient du privilège d’un commandement autonome.
On notera – précision importante – qu’avec le temps, la pression exercée par les autorités d’occupation pour recruter de force dans les unités supplétives s’accentua. Ainsi, à partir de la fin 1942, la plupart des hommes en âge d’être mobilisés qui n’avaient pas été envoyés en Allemagne au titre du « travail volontaire » furent sommés de rejoindre les unités supplétives ou d’entrer dans les forces auxiliaires de police sous peine d’être considérés comme des partisans.
Deux formes, très différentes, de collaboration, se dessinent donc au fil du temps : la collaboration volontaire, très minoritaire, et la collaboration-compromission forcée, beaucoup plus fréquente, résultat de pressions ou fruit de comportements d’accommodement et de survie dictés par les conditions terribles imposées aux habitants des zones occupées. Pour certains, comme les cadres de base du parti communiste, cette collaboration-compromission n’était d’ailleurs que le résultat d’une simple reconduction, par l’occupant, de leurs fonctions d’encadrement administratif ou économique.
Les dossiers judiciaires d’épuration étudiés par Vanessa Voisin dans un ouvrage pionnier, L’URSS contre ses traîtres. L’épuration soviétique (1941-1955), montrent l’extrême variété des formes de collaboration, volontaire ou contrainte, active ou passive, ainsi que la grande diversité sociale et politique des acteurs engagés, depuis des personnes stigmatisées depuis longtemps par le régime soviétique (anciens « koulaks », anciens membres du clergé orthodoxe ou de sectes religieuses, survivants des élites de l’Ancien régime) jusqu’aux cadres du Parti ou des Jeunesses communistes, en passant par des citoyens soviétiques « ordinaires », de loin les plus nombreux.
L’épuration et la punition des collaborateurs, volontaires ou contraints, actifs ou passifs, s’inscrit, en URSS, dans un continuum de purges et d’épurations indissociable du projet bolchevique de transformation radicale de la société commencé bien avant la guerre, dès les premières années du régime. L’épuration suit des logiques antérieures de lutte contre « l’ennemi intérieur », mais elle évolue aussi et se transforme au fur et à mesure qu’apparaissent de nouveaux enjeux et de nouvelles réalités. Tout d’abord, il faut prendre en compte la découverte progressive de l’ampleur exceptionnelle, inédite, des crimes commis par l’occupant nazi, qui nécessite de repenser la nature même de cette guerre et de réfléchir, y compris de concert avec les Alliés occidentaux de l’URSS, à la question du châtiment des criminels de guerre et des collaborateurs, dans un cadre national, mais aussi international. À quoi s’ajoutent la prise de conscience de l’étendue des formes d’accommodement avec l’occupant, mais aussi de l’effondrement des loyautés politiques de ceux-là mêmes (communistes et cadres de l’administration étatique) qui étaient censés encadrer la population et donner l’exemple. Il y avait également l’obligation de gérer, de contrôler et de « filtrer » des masses de plus en plus importantes de militaires et de civils déplacés dans le cours de la guerre et qui s’étaient retrouvés, pour toute une série de raisons (soit qu’ils avaient fui, soit qu’ils avaient été encerclés, dans le cas des militaires, soit qu’ils avaient été mobilisés de force par l’occupant, dans le cas des civils) dans les territoires occupés par l’ennemi. De façon non négligeable, s’ajoute aussi la nécessité de prendre en considération de nouvelles contraintes (comme les besoins de main d’œuvre pour la reconstruction d’un pays saigné à blanc), ce qui va contribuer à développer une approche plus différenciée et plus pragmatique envers les comportements extrêmement divers des dizaines de millions de citoyens soviétiques ayant subi l’occupation nazie.
La définition de « collaborateur » et les modalités de l’épuration et du châtiment de tous ceux qui avaient « collaboré » avec l’occupant, ont donc profondément évolué tout au long de la guerre. Comme dans d’autres pays occupés par l’Allemagne nazie et libérés dans le cours de la guerre, les premières reconquêtes de territoires soviétiques ont été marquées par une sévérité impitoyable proportionnelle aussi bien à la brutalité de la guerre sur les fronts orientaux qu’à celle de la terreur stalinienne, caractérisée par d’exécutions sommaires et une très grande part d’arbitraire vis-à-vis du « menu fretin » pris dans les filets. Un grand nombre d’affaires de « collaboration » traitées – plus que « jugées » – en 1942 concernent de simples comportements d’accommodement ou de survie dictés par la contrainte, la peur ou des conditions inhumaines imposées aux habitants des zones occupées. Le simple fait pour une institutrice rurale d’avoir repris son travail à l’école sous occupation allemande ou pour un enseignant d’allemand d’avoir accepté d’exercer une fonction d’interprète vaut aux « coupables » une lourde condamnation à une peine de travaux forcés. À partir du début de 1943, marqué par le tournant historique de Stalingrad, l’épuration se fait « plus réfléchie » (Voisin), plus ciblée. Le « menu fretin », en particulier les « Soviétiques ayant entretenu de leur plein gré des rapports privés intimes ou proches avec l’ennemi » ne sont plus systématiquement jugés pour « espionnage » ou « trahison de la Patrie », deux crimes passibles de la peine capitale, mais sont déportés, sur simple mesure administrative, comme « éléments socialement dangereux ». En revanche, la condamnation des collaborateurs avérés (volontaires ou contraints) est solennellement mise en scène pour l’édification des foules : ils sont pendus en public, leur corps exposés, des jours durant, sur le gibet (décret du 19 avril 1943). Pour ceux qui échappent à la peine de mort, des camps spéciaux, particulièrement durs, baptisés sans ambages du nom de « bagnes », sont créés au printemps 1943. On compte, un an plus tard, plus de 80 000 bagnards, condamnés à des peines incompressibles de 15 à 25 ans de travaux forcés, qui ne leur laissent guère de chance de survie. En outre, de grands procès publics de criminels de guerre nazis et de collaborateurs, à vocation pédagogique, sont organisés : ceux de Krasnodar (juillet 1943) et de Kharkov (décembre 1943) mobilisent tous les medias soviétiques. L’exécution publique des condamnés, filmée et largement diffusée dans les salles de cinéma du pays, se déroule devant des dizaines de milliers de spectateurs rassemblés pour l’occasion sur la place principale de la ville. Cette même période est marquée par la déportation totale de six peuples non slaves (Kalmouks, Karatchaïs, Balkars, Tchétchènes, Ingouches, Tatars de Crimée – au total quelque 900 000 personnes) accusés de « collaboration collective » avec l’ennemi au cours du bref laps de temps durant lequel les Allemands ont – partiellement – occupé ces régions. Derrière ce prétexte, il s’agit pour le pouvoir stalinien de « régler définitivement » (selon l’expression de Lavrenti Beria, chargé de mettre en œuvre ces déportations) la question de ces confins à peine soviétisés malgré des opérations de police régulièrement renouvelées depuis les années 1920.
C’est toutefois à partir de la fin de l’année 1944, avec la reconquête définitive des territoires occupés, que l’obsession du contrôle et du « filtrage » de tous ceux qui ont côtoyé l’ennemi et de la traque des collaborateurs, réels ou supposés, prend une dimension sans précédent. Des centaines de « camps de filtration et de contrôle » des civils et des prisonniers de guerre soviétiques libérés sont mis en place entre l’automne 1944 et l’été 1945. En réalité, la suspicion vis-à-vis des prisonniers de guerre capturés par les Allemands, pour la plupart au cours des premiers mois de la guerre, a été institutionnalisée et systématisée par le régime stalinien dès les premières défaites de l’été 1941. Tout prisonnier de guerre, tout combattant encerclé par l’ennemi et qui a réussi à rejoindre une unité soviétique, tout évadé d’un camp de prisonniers de guerre est suspect aux yeux des autorités militaires et passible d’arrestation immédiate pour une procédure de « filtration » approfondie. Tout prisonnier de guerre est un traître en puissance. De manière significative, les membres de sa famille n’ont plus droit à la moindre aide de l’État. Les civils contraints de travailler pour le IIIe Reich et déportés en Allemagne comme Ostarbeiter, les évacués vers l’Ouest par les Allemands au cours de leur retraite – tous sont également suspects. Au total, 4,2 millions de Soviétiques (2,6 millions de civils déportés en Allemagne ou évacués et 1,6 million de prisonniers de guerre ayant survécu à l’épreuve de la captivité) passent par les « camps de filtration et de contrôle » gérés par le NKVD. Sur ce nombre, 2 450 000 (soit 80% des civils rapatriés, mais seulement 18% des prisonniers de guerre) sont autorisés à rentrer dans leurs foyers. 800 000 environ (soit 43% des prisonniers de guerre et 5% des civils rapatriés) reversés dans l’armée ; 600 000 ( soit 10% des civils rapatriés et 23% des prisonniers de guerre) sont envoyés dans des « bataillons de reconstruction » au régime très dur, proche de celui auquel sont soumis les quelque 4 millions de prisonniers de guerre allemands, japonais, italiens, roumains retenus en URSS (certains jusqu’en 1948-1949) et contraints de travailler, eux aussi, à la reconstruction du pays, dans des « bataillons spéciaux de travail ». Enfin, 350 000 rapatriés (dont 110 000 civils et 250 000 prisonniers de guerre) sont condamnés à une peine d’exil de 6 ans dans des régions inhospitalières du pays.
On le voit, la traque des « suspects » et des collaborateurs, réels ou supposés, volontaires ou contraints, actifs ou simplement compromis par des liens, intimes ou professionnels, avec l’occupant, est entachée d’arbitraire et d’injustices. Certes, l’URSS n’a pas, en cette sortie de guerre, le monopole en la matière. Comme l’ont montré toutes les études sur l’épuration en Europe de l’Ouest libérée du nazisme, les épurations ont connu, partout, leur lot d’arbitraire, de règlements de comptes, de hasard.
L’épuration de guerre en URSS ne cesse pas avec la fermeture des camps de « filtration et de contrôle ». Alors que l’armée soviétique pénètre dans les territoires occidentaux annexés à la suite du pacte germano-soviétique d’août 1939, avant de s’enfoncer dans les pays d’Europe centrale et orientale, c’est encore une autre épuration qui commence, simple volet d’une longue guerre de conquête et de « pacification » qui ne prend pas fin le 9 mai 1945. Quant aux matériaux réunis par la Commission d’État extraordinaire d’enquête sur les crimes nazis, mise en place dès 1942, ils vont être exploités jusque dans les années 1960 pour juger un certain nombre de criminels de guerre nazis et de collaborateurs. L’épuration soviétique, ancrée dans des pratiques inhérentes au régime lui-même dès ses débuts, est une affaire de longue haleine, soumise à des aléas et des considérations politiques et idéologiques qui ne font assurément pas bon ménage avec le Droit.
ŒUVRES CITÉES
Deak, Istvan, Gross, Jan & Judt, Tony (dir.), 2000, The Politics of Retribution in Europe: World War II and its Aftermath, Princeton, Princeton University Press.
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Epifanov, Aleksandr, 2005, Ответственность за военные преступления, совершенные на территории СССР м годы Великой Отечественной войны [Répondre des crimes de guerre commis sur le territoire de l’URSS durant la Grande Guerre patriotique], Volgograd, Izd-vo VA IVD RF, 2005.
Polian, Pavel, 2002, Жертвы двух диктатур, [Victimes de deux dictatures] Moskva, Rosspen.
Voisin, Vanessa, 2015, L’URSS contre ses traîtres. L’épuration soviétique (1941-1955), Paris, Publications de la Sorbonne.
Weiner, Amir, 2000, Making Sense of War, Princeton, Princeton University Press.
Werth, Alexandre, 2012, La Russie en guerre [1964], 2 vol, Paris, Tallandier 2012.