Le réseau de résistance du Musée de l’Homme ou l’humanisme en action : lire en classe la BD Des vivants

Sandrine RaffinLycée Bellevue, Toulouse
Paru le : 11.03.2023

Lire Des vivants est une expérience totale, s’adressant au cœur comme à l’esprit : il paraît donc important de la faire découvrir au plus grand nombre et surtout aux élèves de collège et de lycée, dont les programmes évoquent cette période. C’est pour cela que ce propos s’articulera en deux temps : un compte rendu de lecture et des propositions d’activités pédagogiques prenant ce livre pour support à réaliser en classe.

Index géographique : Paris

Disciplines : français, histoire, arts plastiques, humanités, littérature et philosophie

Niveaux d’enseignement : 3e, première et terminale de LP, terminale de LGT.

Compte rendu de lecture

La bande dessinée Des vivants, de Raphaël Meltz, Louise Moaty, Simon Roussin (2024 éditions, 2021) a pour sujet l’histoire du réseau de résistance du Musée de l’Homme, actif entre 1940 et 1942. Lire cet ouvrage est une expérience esthétique et éthique. D’abord par ses choix de couleur et de cadre, ensuite par son contenu, exigeant, reflet voulu de la réalité de l’époque, plongeant le lecteur dans l’aventure de la mise en place d’un réseau de résistance – une création par à-coups et tâtonnements, un peu au hasard. Ce sont des convictions qui se transforment en actes ; il ne s’agit, dans un premier temps, que de quelques individus, qui deviennent un groupe puis un réseau.

Cette réalité apparaît à travers les textes et les paroles, tous historiques, issus de « lettres, journaux, témoignages, entretiens, souvenirs » comme l’indique l’avertissement et comme les recensent les notes à la fin, extrêmement précises, comportant les références des citations mais aussi les biographies des principaux personnages, avec une bibliographie riche (p. 239-259).

Cette lecture est exigeante car certaines pages contiennent parfois peu de texte, parfois même aucun ; elles sont uniquement constituées d’aplats de couleur, avec une dominante, dès la couverture, de violet sombre et de vert clair. Ce violet sombre revient tout au long des pages comme un écho de la nuit – le lieu du secret et de la clandestinité mais aussi les ténèbres dont les Allemands semblent avoir recouvert Paris sous l’Occupation. Le lecteur, immergé dans une expérience esthétique, est aussi particulièrement actif. Il doit faire un effort en parcourant la page, les cases étant parfois disproportionnées, superposées ou en occupant l’entièreté[1]. C’est lui aussi qui crée du sens entre les vignettes et les événements, en ajoutant des liens logiques souvent absents, en reconnaissant les personnages (aidé en cela par la première double page, à l’intérieur de la couverture – une galerie de portraits), en tissant les liens entre eux.

Expérience éthique aussi car la plongée dans la pensée, les discours et les actes de ces scientifiques, parfois bien connus, comme Germaine Tillion, permet de saisir la portée et le danger d’un engagement moral où des valeurs comme la liberté, l’égalité, la solidarité et la défense de l’idée d’humanité sont mises en œuvre de façon réelle et exemplaire.

Pourquoi « des vivants » ? Le titre évoque d’abord la littérature scientifique, érudite : « à propos des vivants », pourquoi pas de tout le vivant – une sorte de nouveau De Natura rerum. Il s’agit aussi d’une référence à une conférence donnée par l’un des protagonistes principaux, Anatole Lewitsky, le 23 mars 1939, sur le chamanisme. Enfin, les personnages de cette bande dessinée, c’est-à-dire les personnes historiques, ont voulu rester vivants en résistant, comme l’indique le sous-titre, clair, qui apparaît seulement sur la page de titre intérieure : « le réseau du Musée de l’Homme, 1940-42 ». Ils sont « des vivants » parce qu’ils ne veulent pas céder à la passivité en refusant la capitulation. Ils éloignent, malgré les dangers, la mort grâce à l’action. C’est ce qu’affirme sans cesse la même Germaine Tillion : vivre, c’est résister[2].

Parcours pédagogiques

Au moment où la bande dessinée est en tant qu’art à part entière – une chaire annuelle de « Poétique de la Bande dessinée » est proposée pour la première fois au Collège de France en 2022, par Benoît Peeters[3] – mais aussi en tant que support documentaire, il semble judicieux de faire découvrir cet ouvrage, récompensé par le Fauve spécial du jury Angoulême 2022, aux élèves des classes de 3e, de première et de terminale des LP et de LGT, en cours de français, d’histoire ou de spécialité humanités, littérature et philosophie. En effet, elle est un point de départ idéal pour aborder un des aspects majeurs de la Seconde Guerre mondiale, la Résistance, à travers la décision de femmes et d’hommes d’entrer dans la clandestinité et grâce à la description de la création d’un réseau.

Parcours pédagogiques disciplinaires et interdisciplinaires

En 3e, dans le cadre d’un travail en français en collaboration avec le professeur d’histoire, à propos de l’entrée en résistance : après avoir repéré avec les élèves les grandes étapes de la constitution du réseau du musée de l’Homme dans Des vivants, en travaillant à la fois le schéma narratif, les débats entre les individus et les choix ontologiques des personnages, sans oublier le point d’orgue qu’est la création d’un journal clandestin, Résistance (et la question de son titre), le professeur pourra comparer d’autres personnages et d’autres récits, fictifs ou réels, de résistants mis en BD. Par exemple :

  • Les Enfants de la Résistance, Vincent Dugomier et Benoît Ers, éditions Le Lombard, 8 tomes

https://www.lelombard.com/incontournable/les-enfants-de-la-resistance

Cet éditeur propose un dossier pédagogique par tome, téléchargeable, à partir de 9 ans. Un album sous forme d’escape game accompagne le tome 1.

  • Madeleine résistante, Jean-David Morvan,Madeleine Riffaud et Dominique Bertail, éditions Dupuis, 4 tomes (le tome 1 a reçu le prix Goscinny)

https://www.dupuis.com/seriebd/madeleine-resistante/16300

Madeleine Riffaud, née en 1924, raconte son histoire.

Des fiches pédagogiques destinées aux élèves de primaire, de collège et de lycée sont accessibles sur le site : https://www.dupuis.com/actualites/FR/madeleine-resistante-les-fiches-pedagogiques/4342

On s’appuiera particulièrement sur les fiches suivantes : pour le collège la fiche 6 « Devenir résistant » et pour le lycée la fiche 2 « Entrer en résistance, pourquoi ? ».

Voir aussi le site de la Fondation de la Résistance, avec des ressources pédagogiques, plutôt destinées au cours d’Histoire : https://www.fondationresistance.org/pages/accueil/

En terminale, spécialité HLP, à propos des violences de l’histoire et des réactions des hommes et des femmes à ces violences, différents axes de la spécialité peuvent être convoqués tour à tour.

Dans un premier temps il s’agira de faire repérer dans Des vivants en quoi consistent les violences de l’histoire et comment elles sont représentées visuellement et textuellement, à travers ce qu’en disent les personnages. Rappelons que ce sont des propos réels.

Dans un deuxième temps, il sera intéressant, à partir de cette BD, de déterminer quelles sont les réponses des hommes et des femmes à ces violences, en particulier celle que constitue l’Occupation, et donc d’étudier les conflits qui en découlent et qui opposent les personnages. Cela permet alors de travailler aussi sur l’humain et ses limites. Il s’agit en effet de la question du choix éthique de résister, de dire non à l’absence de liberté. L’être humain doit-il ou peut-il supporter la soumission ou au contraire céder à la compromission (en montrant alors une de ses « limites ») ?

Enfin, cet ouvrage permet de poser autrement la question de la définition de l’humain (le mot même de « définition » renvoyant on le sait aux limites) grâce à différentes pistes de réflexion : en quoi est-ce important que ce réseau soit une création d’anthropologues ? Que nous dit cet engagement de scientifiques travaillant sur l’humain de nos propres valeurs ? Ce sont en effet des intellectuels, hommes et femmes, qui, après avoir posé, avec la création du musée de l’Homme, les bases d’une nouvelle approche anthropologique, décident de résister. On peut citer ainsi l’écrivain Michel Leiris, proche du réseau, qui lutte dès 1934, avec la parution de L’Afrique fantôme, contre toute forme d’oppression, y compris coloniale.

L’histoire même du musée de l’Homme est intéressante à découvrir et à relier aux choix des principaux protagonistes, dont le directeur de l’époque, Paul Rivet. Paul Rivet, anthropologue, est le fondateur du musée de l’Homme en 1938. C’est une personnalité engagée bien avant le début de la Seconde Guerre mondiale : pour lui, le rôle du scientifique est « d’alerter des dangers qui menacent la société et d’éveiller les consciences ». C’est ainsi que le présente la page du site du musée de l’Homme, https://www.museedelhomme.fr/fr/paul-rivet-1876-1958. À son propos, on pourra consulter cette page, qui contient sa biographie, mais aussi les livres de Christine Laurière, Paul Rivet : le savant et le politique, Paris, Publications scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle, 2008 et d’André Delpuech, Christine Laurière et Carine Peltier-Caroff, Les Années folles de l’ethnographie. Trocadéro 28-37, Paris, Muséum national d’Histoire naturelle, 2017.

Le site du musée comporte également un onglet « Le musée » avec son histoire et les biographies d’Yvonne Oddon, de Germaine Tillion, d’Anatole Lewitsky et de Boris Vildé : https://www.museedelhomme.fr/fr/le-musee

ainsi qu’une rubrique consacrée au réseau de résistance : https://www.museedelhomme.fr/fr/le-reseau-de-resistance-du-musee-de-l-homme

À l’issue du parcours, on pourra ainsi, avec les élèves, donner un sens nouveau à l’appellation « Humanités » de la spécialité, en la reliant à l’humanisme, en théorie et en acte, que propose ce récit.

Pour aider les élèves et les professeurs à entrer dans ces histoires et ces choix individuels qui deviennent collectifs, il sera pertinent de s’appuyer sur le parcours et les témoignages des principaux intéressés, en particulier ceux de Germaine Tillion, ethnologue et anthropologue, et de Jean Cassou, rédacteur en chef de Résistance, écrivain et critique d’art. On s’appuiera sur la bibliographie en fin de volume (p. 256-259). Voici quelques autres suggestions :

Germaine Tillion, La traversée du mal, entretien avec Jean Lacouture, Paris, Arléa, 1997 et À la recherche du vrai et du juste. À propos rompus avec le siècle, Paris, Le Seuil, 2001.

Jean Cassou, Une vie pour la liberté, Paris, Robert Laffont, 1981, La Mémoire courte, Paris, Éditions de Minuit, 1954 ; rééd. Éditions Sillage, 2017.

Parcours pédagogiques créatifs et artistiques

Pour la classe de 3e en cours de français : réaliser une adaptation théâtrale partielle de Des vivants à partir des dialogues de la BD. On fera écrire aux élèves quelques scènes de leur choix (transposition des dialogues, ajout de didascalies), susceptibles de donner lieu à une lecture théâtralisée ou une mise en scène.

Pour la classe de 3e en cours de français et arts plastiques : faire dessiner quelques planches en s’inspirant de la mise en page et du choix de couleurs (quelques-unes, en contraste), à partir de moments de la vie d’autres résistants comme Lucie Aubrac par exemple, en s’appuyant sur sa biographie Ils partiront dans l’ivresse (Seuil, « Points », 1997), dans l’optique éventuelle de participer au concours « Bulles de mémoire », si le thème de l’année s’y prête.

Cf. https://eduscol.education.fr/3436/concours-bulles-de-memoire

 

[1] Pour accéder aux seize premières planches : https://casesdhistoire.com/des-vivants-de-raphael-meltz-louise-moaty-et-simon-roussin-prix-cases-dhistoire-2021/.

[2] C’est le titre choisi pour une anthologie parue en 2010 : Vivre c’est résister – Textes pour Germaine Tillion et Aimé Césaire, par Claire Mestre, Hélène Asensi et Marie-Rose Moro, Grenoble, éditions La Pensée Sauvage.

[3] Benoît Peeters, « Poétique de la bande dessinée », cours et séminaires de la chaire annuelle de Création artistique du Collège de France en 2022, accessibles en lignes. On pourra se reporter en complément à ces publications : Benoît Peeters, Génie de la bande dessinée. De Rodolphe Töpffer à Emil Ferris, Paris, éditions du Collège de France, 2022. Benoît Peeters, Lire la bande dessinée, Paris, Champs-Flammarion, 2010. Benoît Peeters, Écrire l’image. Un itinéraire, Paris, Les imprimeries nouvelles, 2009. Pascal Ory, Laurent Martin, Jean-Pierre Mercier, Sylvain Venayre dir., L’Art de la bande dessinée, Paris, Citadelles & Mazenod, 2012. On pourra également écouter cette émission de Patrick Boucheron sur France Inter, avec Benoît Peeters : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/histoire-de/histoire-de-du-dimanche-29-janvier-2023-1369851.